NOVEMBRE 2023
 
 
CONTENU
LE RORQUAL DE BRYDE
ET À PROPOS DE CÉTACÉS D'INDOCHINE
 
 
Au centre-sud Vietnam, depuis les terrasses de l’Amanoi ou de celles du Zannier Bai San Ho, en observant le Pacifique, il est parfois possible d’apercevoir des familles de rorqual de Bryde, un cétacé emblématique du littoral sud-vietnamien et de retour en ces eaux tropicales.

Peu de recherches concernent les mammifères-marins d'Indochine, notamment ceux des trois mille deux cent soixante kms des côtes vietnamiennes. Les plus notables recensés sont le rorqual de Bryde (Balaenoptera brydei), le petit rorqual (Balaenoptera acutorostratala), la baleine à bosse (Megaptera novaeanglide), la baleine bleue (Balaenoptera musculus), la baleine à bec de Cuvier (Ziphius cavirostrisle), la baleine à tête de melon (ou dauphin d’Électre, Peponocephala electrale), le cachalot pygmée (Kogia breviceps), le cachalot nain (Kogia simusle), l’orque pygmée (Feresa attenuatale), le grand dauphin (ou dauphin à gros nez, Tursiops truncatus), le dauphin à long bec (Stenella longirostrisle), le marsouin aptère (Neophocaena phocaeivoides), le dauphin de l’Irrawaddy (Orcaella brevirostris) et le dugong (Dugong dugon).

Le rorqual de Bryde ou rorqual tropical (ou d’Eden) se divise en trois espèces et peut-être quatre. Le rorqual commun de Bryde (Balaenoptera brydei), l’espèce la plus commune est répartie dans les eaux chaudes tempérées de la planète ; le rorqual d'Eden (Balaenoptera edeni), une forme plus petite se limite à la région indopacifique, les deux autres espèces évoluent le long du sud de l’Afrique et du golfe de Mexico.

En Asie du Sud-Est, le rorqual de Bryde déambule entre le golfe de Martaban au Myanmar, le long des côtes du golfe du Bengale, au Bangladesh, en Thaïlande, au Vietnam, à Taïwan et jusqu’au Japon méridional.

À maturité, un rorqual mâle mesure en moyenne douze mètres. Son poids varie de douze à vingt-cinq tonnes. À la naissance, il mesure environ quatre mètres. La maturité sexuelle est atteinte entre huit et onze ans pour les deux sexes. Le rorqual est une baleine à fanons, du même groupe que les baleines bleues et les baleines à bosse. Il possède deux évents jumeaux et un pare-éclaboussures bas à l'avant. Comme les autres rorquals, il n'a pas de dents, mais possède deux rangées de fanons. Il est de couleur gris-foncé sur le dos et généralement blanc sur le ventre, alors que les rorquals d’Eden sont souvent gris-bleu sur le dos et ont une tâche blanche de taille variable sur la gorge, une marque blanche en forme d'ancre orientée vers l'arrière entre les nageoires pectorales, couvertes de cicatrices ovales blanches ou roses causées par des morsures de requins ou d’épaulards.

Le souffle du rorqual est colonnaire ou buissonnant, d'une hauteur d'environ trois mètres cinquante, sachant qu’il peut aussi expirer sous l'eau. Il plonge régulièrement environ dix-quinze minutes et peut atteindre une profondeur de trois cents mètres. Son comportement est erratique : il peut changer de direction pour des raisons inconnues. Sa vitesse moyenne de déplacement varie entre 1,5 et 6 km/h mais suivant les cas il peut atteindre 24 km/h. Sa vocalisation est brève et puissante et ressemble à un gémissement humain. Il apparait seul ou par paires et parfois en groupe allant jusqu'à vingt. Il se nourrit de poissons, de crustacés planctoniques et de céphalopodes, parmi eux des anchois, des sardines, des espèces d'euphausiacés, de poissons océaniques et de maquereaux.Panthère nébuleuse

Dans le passé et toujours localement de nos jours, les pêcheurs vietnamiens vénèrent le rorqual de Bryde et la baleine bleue puisqu’ils présument qu’ils les aideront en cas de détresse en mer. Certains villages du centre et centre-sud Vietnam possèdent des histoires de cétacés poussant des personnes et des bateaux à terre après que leur embarcation ait été emportée en haute mer lors de typhons ou par des courants. Outre la baleine, le dauphin, le dugong, la tortue luth (Dermochelys coriace), le poisson-scie et le calamar géant sont également vénérés. Ils sont enterrés près des temples et leurs ossements servent épisodiquement à la construction de ces derniers.

La vénération ou « culte de la baleine » est hérité d’ancienne croyances chames. Lorsqu’une baleine est retrouvée échouée sur le littoral, s’en suivent divers cultes afin d’honorer son esprit. Un des traits intéressants de ces cultes est que le découvreur ou inventeur de la baleine est considéré comme le « fils du cétacé ». Il porte un deuil puisque la baleine est désignée comme étant sa mère ou son père. Une fois la découverte faite, le cétacé est recouvert de banderoles de papier, une foule vient l’examiner avec respect et brûle de l'encens ; on la transporte ensuite dans un abri ou dans un temple où on la couche sur une natte décorée. Des faire-part de décès sont envoyés à d'autres villages pratiquants eux aussi ce culte. Gongs et tambours retentissent toute la nuit. Le décor du culte est composé d'oriflammes, autour brûle des cierges et de l'encens. Au moment de la mise en bière le découvreur de la baleine rentre en transe et de sa bouche sortent des paroles qui sont celles de l'esprit de la baleine. Celle-ci demande à être enterrée trois jours plus tard. Pendant ces deux jours, des courses de pirogues sont organisées en son honneur. Le deuil peut durer trois mois (Charles Macdonald, Aséanie, 2003).

Certaines espèces mentionnées dans le second paragraphe ont disparues, fort heureusement, le rorqual de Bryde, alors qu’il se faisait rare depuis quelques années, est depuis 2022 régulièrement signalé au large de la province de Binh Dinh, récemment à un moins d’un mille nautique de la plage de De Di (district de Phu Cat, province de Binh Dinh).

En 2023, Secret Indochina développe divers modules-maritimes dans le Phu Yen. De remarquables dunes, des promontoires rocheux et des îles permettent d’y observer l’océan et par chance ces étonnants rorquals… 


© Crédit illustration : Chloe Yzoard 

 
 
L'UNIQUE
DECHIU HOTEL HOI AN
 
Joliment située au bord de la rivière Thu Bon, Hoi An est l'une des plus pittoresques villes du Vietnam qui flamboie sous les feux de ses lanternes à la nuit tombée. Cet ancien port marchand du grand Champa s’enorgueillit autrefois d’une éminente notoriété auprès des mercantis japonais, chinois, arabes, portugais, hollandais, britanniques ou encore français venus charger des cargaisons de soie, de broderie, d’épices, de poterie, de thé, ou encore de porcelaine. Aujourd'hui, cette cité abrite un centre-ville piétonnier considéré à juste titre comme un musée à ciel ouvert, qui lui a valu d’être classé au patrimoine mondial de l’UNESCO.

C’est en périphérie de cette célébrée Hoi An qu’a poussé le Dechiu, une oasis discrète de douze chambres lovées entre des rizières parfumées, à deux pas de la plage An Bang. Cette invitation à la poésie et au relâchement est le fruit de TheO Pham, une architecte hanoïenne passionnée de design. Une passion qu’elle véhicule dans ce concept très personnel et provocateur mettant à l’honneur les réminiscences de sa paisible et insouciante enfance, envoûtée par les effluves de la campagne baignée de l’air marin.

S’approchant du brutalisme tropical, mais avec une chaleur surprenante, le style Dechiu entrelace des palettes de couleurs subtiles, de l'ocre miel au bleu lait et indigo. Un ton exalté qui inspire la créativité et la méditation, avec de grands bureaux, des piles de livres à côté de méridiennes habillées de textiles vintage ; et qui célèbre l’artisanat vietnamien au moyen d’une série de meubles anciens, sculptés localement, de linges de maison faits à la main, ou encore d’œuvres d’arts ethniques. Au-delà d'un doux étang rempli de carpes koïs, une ambiance wabi-sabi se dégage des sols et des murs en ciment vieilli, rappelant les maisons en argile de la campagne côtière où grandit TheO. Le tout est accolé de l’intimiste restaurant végétarien Gieo, une promesse d’amour, de bonté et de sagesse qui promeut le naturel, le non transformé et l’authenticité.

Cette séduisante carte postale s’explore au travers de diverses expériences :

- Une échappée à bicyclette ou en voiture vintage entre les îlots champêtres du delta de la Thu Bon vers l'ancienne maison vernaculaire d'un mandarin de la cour du roi des années mille huit cent. Inclus en chemin, la rencontre d’un vannier expert en natte de jonc, et d’un fabricant de barque-ronde - un coracle qui symbolise la résilience et l'habileté du peuple vietnamien.

- Une promenade culturelle qui remonte le temps de la vieille cité via ses discrètes ruelles et ses sites ignorés comme la pagode de la Maternité, un temple familial ouvert exceptionnellement, et la rencontre déroutante d’un praticien de médecine traditionnelle.

- Une incursion dans la campagne maraîchère de Hoi An, où les maisons se fondent entre les palmiers à bétel et les champs de riz, pour y rencontrer une famille d’agriculteur attachante qui s’investit dans la culture biologique.

- Une visite approfondie du site archéologique de My Son, où tiennent encore les plus importants vestiges des anciens royaumes du Champa, accompagnée par un archéologue de renom ayant participé au projet d'inscription du site au patrimoine mondial de l'UNESCO.



EN SAVOIR PLUS

                           
NORODOM SIHANOUK
ET L'INDÉPENDANCE DU CAMBODGE
 
Le 9 novembre 2023, le Cambodge fêtera une indépendance conquise il y aura exactement 70 ans. Le texte qui suit entend revenir sur les circonstances de l’obtention de l’indépendance et, de fait, sur le rôle clé qu’a joué Norodom Sihanouk.

Que penser de la complexité extrême d’un homme qui accède au trône en 1941, qui abdique en 1955 pour pouvoir occuper ensuite les fonctions de chef de l’état, qui sera renversé par un coup d’état en 1970, qui sera à nouveau couronné en 1993 et qui prendra sa retraite en 2003 ? Ce n’est pas tout car Sihanouk a ponctué sa carrière politique de nombreux films, de textes autobiographiques et polémiques et... de chansons.

À travers ses films et écrits, il n’a eu de cesse de s’expliquer sur ses contradictions. Un film de 1995 « Une ambition réduite en cendres » met en scène un jeune prince qui a été éduqué par un Guru pour, un jour lointain, accéder au trône et devenir un des plus grands rois que le Cambodge aura connus. Comme futur roi, il est l’incarnation d’un dieu qui doit se tenir à l’écart du monde des humains, mais l’amour qu’il éprouve pour une jeune paysanne le ramène à l’humanité. Le prince a finalement et contre l’avis de son Guru une relation avec la jeune paysanne et au terme de la nuit son corps n’est plus qu’amas de cendres. Là encore, il n’est pas difficile de voir dans le prince une représentation de Norodom Sihanouk et de la contradiction dont il est le lieu entre l’austère nécessité des activités gouvernementales et les plaisirs de l’existence.

Le terme de paradoxe n’est pas de trop et Norodom Sihanouk semblerait endosser tout naturellement les moments les plus divers et les plus contradictoires qui vont ponctuer son existence.

Prudence oblige cependant et le conditionnel reste de rigueur car, comme nous le verrons, les exercices de style auxquels il se livre sa vie durant ont une finalité : celle que leur prête un homme d’état et un politicien hors pair qui sera constamment au service du Cambodge dans les heures les plus tragiques de son histoire.

Le roi

Rien de particulier ne prédestinait Norodom Sihanouk à monter sur le trône. La monarchie cambodgienne est une monarchie élective et le futur roi se doit d’être choisi par le conseil du trône. En 1941, ce conseil du trône n’était qu’un instrument entre les mains du véritable pouvoir politique : les autorités du protectorat français. À la question « Pourquoi le conseil de trône a-t-il choisi Norodom Sihanouk » on pourrait en toute logique substituer « Pourquoi les autorités françaises de l’époque avaient-elles opté pour Norodom Sihanouk ? »

Selon lui, parce que l’épouse du gouverneur général de l’Indochine, l’amiral Decoux, le trouvait mignon. Ce n’est sans doute pas cela qui a emporté la décision de l’amiral Decoux pour qui Sihanouk était vraiment le candidat idéal. Pensez, il aime le sport, les belles voitures, chanter, danser... et la politique ne l’intéresse pas, de ce côté-là pas de danger. Une fois de plus, une belle myopie historique était à l’œuvre. Avec une extraordinaire patience Norodom Sihanouk entretiendra l’illusion le temps nécessaire à l’avènement de circonstances plus favorables.

Les Français n’allaient pas tarder à comprendre leur erreur lorsque le 11 mars 1945, Sihanouk, en abrogeant les traités de protectorat de 1863 et de 1884, déclare de facto l’indépendance du Cambodge.

Allié théorique de Vichy, le Japon n’avait eu aucun mal à s’installer dans l’Indochine française. Les relations avec les Français vont très vite tourner au vinaigre et le leader pressenti par le Japon, Son Ngoc Than, devra s’exiler à Tokyo après avoir fomenté les manifestations anti françaises de l’été 1942. Son Ngoc Than sera de retour en 1945 et le Japon l’impose au roi Sihanouk comme premier ministre. Le personnage jouit au sein de la population cambodgienne d’une popularité considérable que lui vaut sa réputation de nationaliste intransigeant et convient parfaitement aux projets japonais qui consistent à intégrer l’Indochine française à la sphère de coprospérité de l’Asie orientale.

L’opposition entre les 2 hommes mérite qu’on s’y arrête. D’un côté, l’idéologue qui entend traduire sa vision dans la réalité sans concession aucune, de l’autre un sens aigu de l’art du possible et une habileté inimaginable à jouer des circonstances. Norodom Sihanouk avait bien mieux compris la situation internationale que son premier ministre : La défaite militaire japonaise était imminente et la France serait bientôt de retour. Sihanouk n’est pas moins nationaliste que Son Ngoc Than mais possède sur ce dernier une qualité maîtresse, celle de ne pas prendre ses désirs pour des réalités. L’indépendance pure et simple n’était alors plus ou pas encore à l’ordre du jour.

En 1946, les Français qui sont de retour arrêtent Son Ngoc Than et l’exilent en France ; Sihanouk est, lui, maintenu dans ses fonctions. D’un côté, tout semble clair, il a bien été obligé par les Japonais de proclamer l’indépendance du Cambodge, de l’autre la France n’est plus dupe et commence à comprendre que les protestations de fidélité de Norodom Sihanouk ainsi que ses trop fréquentes dénégations à propos des évènements du 11 mars 1945 dissimulent en fait une volonté de prendre en main le destin de son pays.

Le père de l'indépendance

Norodom Sihanouk passera les années suivantes (1946 - 1952) à tenter d’obtenir des concessions de la France. Dans ce qui est aujourd’hui le Vietnam, le 1er conflit indochinois a déjà débuté. Au Cambodge, la situation est des plus tendues : des portions entières du territoire, comme la région de Pursat ou le Sud-Ouest sont dominées par les Khmers Issaraks. Le parti démocrate, tout comme le parti communiste indochinois ont au cœur de leur programme une indépendance qui semble désormais à portée de main. Puisque l’indépendance ne fait plus de doute, la question décisive pour l’avenir du Cambodge était de savoir qui l’obtiendrait, quand et surtout comment.

De nouveau, Sihanouk va mener un jeu hors pair. La pièce en 3 actes qui va suivre sera écrite et magistralement mise en scène par Norodom Sihanouk.

Grâce à son intercession, il obtient le retour de Son Ngoc Than de France. Le jeu est dangereux car le radicalisme de Son Ngoc Than reste très populaire et Norodom Sihanouk le sait. Sihanouk commence par inviter Son Ngoc Than à négocier. Pour une personnalité qui a bâti sa carrière politique sur le refus des concessions, la négociation est par essence un exercice périlleux et le risque de décevoir ses partisans est bien réel.

Comme Sihanouk tergiverse et ne lui offre pas de position proéminente, Son Ngoc Than décide de rejoindre les maquis de la guérilla Issarak, exactement ce qu’attendait Norodom Sihanouk qui apparait alors au monde comme le détenteur d’une solution pacifique et réaliste.

Le 3ème acte débutera en juin 1952, lorsque Norodom Sihanouk lance sa croisade royale pour l’indépendance qui le mènera à Washington, Paris et Bangkok. Le message est simple : « Négociez avec moi maintenant ». Le message est entendu par la France et le 9 novembre 1953 le Cambodge obtient une indépendance qui sera reconnue internationalement au terme de la conférence de Genève en juillet 1954.

Norodom Sihanouk s’est une nouvelle fois révélé comme un joueur d’échecs de niveau supérieur avec de nombreux coups d’avance sur ses adversaires.

Le chef de l'état

Sihanouk était auréolé du prestige considérable du père de l’indépendance. Cependant, il restait le souverain d’une monarchie constitutionnelle où le roi n’a d’autre tâche que de régner. On a du mal à imaginer Norodom Sihanouk se contentant d’inaugurer les écoles primaires ou de recevoir des bouquets de fleurs. Norodom Sihanouk voulait gouverner. Il ne s’agit pas d’avoir le pouvoir pour le pouvoir, à ce niveau, la supposition est absurde : Norodom Sihanouk était habité par une vision du Cambodge qu’il entendait traduire dans la réalité.

Nouveau coup de poker qui prendra de vitesse tous ses adversaires : le 27 février 1955, Norodom Sihanouk abdique en faveur de son père Suramarit qui devient roi. Devenu simple citoyen, il crée le Sangkum Reastr Niyum (SRN) que l’on traduit par « Communauté Socialiste Populaire », combinaison impressionnante de nationalisme, neutralisme, socialisme, bouddhisme...Plus qu’un simple parti, il s’agissait d’un creuset destiné à rassembler toutes les forces vives du pays. Les 15 années qui allaient suivre (1955 -1970) resteront dans la mémoire des Cambodgiens comme une période de prospérité et de grandeur inégalées depuis l’indépendance.

Jean-Michel Filippi.


 
Secret Indochina
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