JUILLET 2025
 
 
CONTENU
Jungle Cat
L'INSAISISSABLE CHAT DE LA JUNGLE
OU CHAT DES MARAIS
 
 
Dans la continuité de nos publications sur les espèces remarquables d’Asie du Sud-Est, notre œil se penche aujourd’hui sur le chaus, appelé aussi chat des marais ou chat de la jungle (Felis chaus), un félin qui serait étroitement apparenté au chat domestique.

L’aire de répartition de cette espèce de petit chat (Felinae) de la famille des Félins (Felidae) oscille de l’Égypte, à l’Asie centrale, en passant par la région du Caucase, l’Inde et l’Asie du Sud-Est (Indochine et Sri Lanka) où elle se décline en neuf sous espèces comprenant : Felis chaus chaus ou Chat des marais de l'Ouest, Felis chaus affinis ou Chat des marais de l'Inde, Felis chaus furax, Felis chaus kelaarti, Felis chaus kutas, Felis chaus nilotica, Felis chaus Oxiana, Felis chaus prateri et enfin Felis chaus fulvidina ou Chat des marais de l'Indochine pour le secteur Cambodge, Chine, Laos, Birmanie, Thaïlande, et Vietnam. À noter que le Chausie, une race de chat hybride originaire des États-Unis, est le résultat du croisement entre le Felis chaus, et un chat domestique.

Malgré son appellation, le chat de la jungle n'est pas lié uniquement aux jungles, mais aussi à l'eau et aux couvertures végétales denses, ce qui justifie la vaste répartition de son habitat. Dans le milieu désertique, on le trouve le long des lits des rivières ou dans les oasis, alors que sur la péninsule indochinoise, il est aperçu traditionnellement dans les forêts à feuilles caduques, mais aussi dans des forêts à feuillage persistant. En Himalaya, ce chat peut grimper jusqu'à 3 300 m et à 1 000 m dans le Caucase. Globalement, il est associé à des habitats forestiers tempérées décidues et mixtes, des forêts décidues sèches tropicales et subtropicales, des forêts tropicales humides et des déserts et terres arbustives xériques (arides). Il affectionne les habitats humides avec une végétation dense pour se cacher, en particulier les marais de roseaux, les marais humides et les environnements littoraux et riverains, ainsi que les prairies, les hautes herbes et les broussailles. Ce félin s'est aussi bien adapté à l'homme, puisqu'il est repéré dans nombre de plantations agricoles et forestières (cultures de canne à sucre, champs d’haricots, et étangs de pisciculture) et dans de vieux bâtiments.

Felis chaus est un chat de taille moyenne, à longues pattes, et le plus grand des espèces Felis existantes. La longueur de la tête et du corps est généralement comprise entre 59 et 76 cm. Il mesure près de 36 cm au garrot et peut peser de 2 à 16 kg, taille variant selon l’habitat, et le sexe - les mâles étant plus lourds que les femelles. Sa fourrure de poils courts est souvent de couleur sable, brun rougeâtre ou gris, sans aucun motif à part les rayures bien visibles sur le dessus des pattes, la queue et parfois sur la gorge, qui sont très claires dans le sud et plus foncées dans le nord de son aire de répartition – sachant que des individus mélaniques et albinos existent. Sa face est longue et étroite, avec un museau blanc. Ses grandes oreilles pointues, d'une longueur de 4,5 à 8 cm et d'un brun rougeâtre sur le dos, sont rapprochées ; une petite touffe de poils noirs, d'une longueur de près de 15 mm, émerge de l'extrémité des deux oreilles. Les yeux ont un iris jaune et une pupille elliptique ; des lignes blanches sont visibles autour de l'œil. Des lignes sombres partent du coin des yeux et descendent sur les côtés du nez et une tache sombre marque le nez. Le crâne est assez large dans la région de l'arcade zygomatique ; la tête de ce chat paraît donc relativement plus ronde. En raison de ses longues pattes, de sa queue courte et de sa touffe sur les oreilles, le chat de la jungle ressemble à un petit lynx ; il est toutefois plus grand et plus élancé que le chat domestique.

Jungle CatLe chat de la jungle est typiquement diurne et chasse tout au long de la journée. Principalement carnivore, il préfère les petits mammifères tels que les gerbilles, les lièvres et les rongeurs y compris des ragondins. Il chasse également oiseaux, dont des canards, des perdrix, mais aussi reptiles, amphibiens, poissons, insectes, voire des jeunes d'autres mammifères (porcs sauvages) ou aussi gros que de jeunes gazelles. Comme le caracal, le chat de la jungle peut faire un ou deux grands sauts en l'air pour attraper des oiseaux. C'est aussi un grimpeur efficace, et un véloce animal, un spécimen ayant été chronométré à 32 km/h. C'est un nageur émérite qui se meut jusqu'à 1,5 km dans l'eau et plonge même pour attraper ses proies. Il a la particularité d'être partiellement omnivore : il mange des fruits, surtout en hiver. Ses prédateurs comprennent léopards, tigres, ours, crocodiles, dholes, chacals dorés, chats pêcheurs, grands rapaces et serpents.

Son activité tend à diminuer pendant les heures chaudes de midi. Il se repose dans les terriers, les fourrés et les broussailles. Il prend souvent des bains de soleil les jours d'hiver. On estime qu’il marche de 3 à 6 km la nuit, bien que cela varie probablement en fonction de la disponibilité des proies. Il est généralement solitaire et ne fréquente ses congénères que pendant la saison des amours, mais peut aussi vivre en groupe familiaux, avec le mâle, la femelle et des jeunes. Le mâle a un comportement très protecteur vis-à-vis des jeunes, encore plus que la femelle. Lorsqu'il est confronté à une menace, le chaus vocalise avant de passer à l'attaque, produisant des sons semblables à de petits rugissements - un comportement peu commun chez les autres membres de la famille des Felis. Les vocalisations comprennent le miaulement, le gazouillis, le ronronnement, le grognement, le gargouillis, le sifflement et l'aboiement.

Chatons de la jungleAu rang des contes et légendes, le chat n’est pas en reste. Au IIe siècle, Polyaenus fait état d'un stratagème qui aurait été déployé par le roi perse Cambyse II lors de la bataille de Pelusium (525 av. J.-C.). Ce roi aurait ordonné de placer devant les lignes de front perses des chats et d'autres animaux vénérés par les Égyptiens, qui, décontenancés, auraient cessé leurs opérations de défense et permis aux Perses de conquérir Pélusium. De surcroît, en Égypte ancienne, le chat est hautement vénéré, considéré comme une créature sacrée et souvent associée à la déesse Bastet, la déesse chatte. Il est protégé par des lois et sa mort entraîne un deuil pour son propriétaire. Il est généralement momifié, à la fois comme offrandes aux dieux et comme animaux de compagnie enterré avec son maître. Il est également apprécié pour son rôle de chasseurs de rongeurs et de nuisibles, contribuant ainsi à la protection des récoltes.
Au Moyen-Âge, d’Europe jusqu’en Inde en passant par la Mésopotamie, une fable persiste sous diverses déclinaisons, celle du "chat et de la chandelle" qui met en exergue la constatation que le naturel est inexorablement plus fort que l’éducation.

 
Sur la péninsule indochinoise, le chat de la jungle se distingue par une répartition étonnamment irrégulière (plusieurs signalements uniquement dans le nord et l'est du Cambodge) et est probablement très rare, voire absent, dans la majeure partie ou la totalité du reste de la région. On peut toutefois imaginer quelques spécimens présents dans les forêts de diptérocarpés à feuilles caduques bien pourvues en rivières et en zones humides dans le parc national de Yok Don, dans la province du Dak Lak, et dans les régions de Gia Lai et de Kontum au Vietnam ; dans la zone protégée nationale (NPA) de Xe Pian, la zone protégée nationale proposée de Dong Khanthung, et possiblement dans le Dong Amphan NBCA au Laos ; et dans les réserves naturelles de Kulen Promtep, Lumphat et Phnom Prich au Cambodge.
LE DONG AMPHAN NBCA 
UNE TACHE BLANCHE LAOTIENNE
 
Carte Dong Amphan
Le parc national du Dong Amphan NBCA s’étend dans le sud des provinces d’Attapeu et de Xékong, au sud Laos, le long de la frontière vietnamienne, ce dans un ensemble de montagnes reculées, partie sud-centrale de la chaîne annamitique. De par son aspect reculé, il se place dans l’ensemble énigmatique des « Last Frontiers » d’Indochine péninsulaire.

À l’ouest et au nord, le Dong Amphan est délimité par l’axe nord-sud de la rivière Xe Kaman qui afflue dans le Sekong à Attapeu ; à l’est, il est délimité par les hauteurs de la frontière vietnamienne ; au sud il jouxte la zone mythique des Trois Frontières (Laos, Cambodge, Vietnam) et l’extrême nord-est des parcs nationaux de Virachey au Cambodge et du Chu Mon Ray au Vietnam.

Depuis l’axe de la Xe Kaman, la région s’élève régulièrement vers les monts de la chaîne annamitique d’où émergent de massives formations dont le Phu Pengmun (2052 m et point culminant de la zone), le Phu Ngo (1882 m), le Phu Tonghoy (1324 m) et le Phu Ban Het (1048 m, au niveau du point des Trois frontières). Vers le centre de la zone se trouve le Nong Fatomkleen (Nong Fa ou Nongphatom), un lac naturel bordé de bois touffus. Ces hauteurs se composent d'argiles, de grès, de calcaires et de basaltes localisés.

Le lac de Nong Fatomkleen (Nongphatom, Nong Fa, le lac bleu ou lac secret) est un lac de cratère volcanique à une altitude de 1154 m, la profondeur du lac serait de soixante-dix-huit mètres, bien que les habitants affirment que la profondeur est inconnue. Pendant la Guerre du Vietnam, il est utilisé par les Nord-Vietnamiens comme base le long de la piste Hô Chi Minh ; les pilotes américains bombardant la zone le nomment Dollar Lake parce qu'il est rond. Le lac est source de diverses légendes, les groupes ethniques des environs s’abstenant de s'y baigner puisqu’il serait hanté par un serpent-géant. D’autres dires prétendent que le fait de s’y baigner confère la jeunesse éternelle, comme une source de jouvence.

Dans le Dong Amphan, les montagnes sont abruptes et accidentées et alimentent ruisseaux et rivières créant localement de petites zones inondables. Le cours principal est la Xe Kaman, depuis la frontière vietnamienne où elle prend sa source, elle dévale vers le sud-ouest via une série de gorges barrées de rapides et rejointe par des nombreux affluents dont les Nam Voun, Nam Palouat, Nam Ang, Nam Vong et Xe Xou au sud.

Jules Harmand et son expéditionLa Xe Kaman est explorée par le docteur Jules Harmand dans les années 1875 ; après avoir répertorié le Vat Phu, il étudie le secteur d’Attapeu, à l’époque très reculé, et de là, avec le soutien ambiguë du gouverneur local, entreprend de remonter la Xe Kaman ; il se heurte prématurément à des difficultés insurmontables : passages de rapides, désertions des piroguiers, grande forêt et ses dangers associés, hostilités des groupes proto-indochinois, il atteint son cours moyen et fait demi-tour, malade.

Au sud du parc, la Xe Xou prend sa source au niveau du point des Trois frontières, sur les flancs du Phu Ban Het ; elle permet l’accès à la partie méridionale du NBCA, en remontant la Xe Xou ou via une piste reliant Attapeu à la frontière vietnamienne.

Les groupes ethniques au sein du Dong Amphan NBCA sont les Lave (Bru, quarante-quatre villages), les Talieng (trente-quatre villages), les Oy (vingt-trois villages), les Alak (dix-sept villages), les Sou (quatorze villages), les Nge (neuf villages), les Cheng (trois villages), les Nya Hon (deux villages) et les Ta Oy (un village) ; à notifier que depuis 2010, un grand nombre de ces communautés sont déplacées ou regroupées le long d’axes principaux ou dans des bourgs.

Durant la Guerre du Vietnam, le Dong Amphan est un secteur majeur de la Piste Hô Chi Minh, des bases de l’armée nord-vietnamienne y sont édifiées et permettent de lancer des opérations sur le voisin Centre Vietnam, notamment lors des batailles des Hill 875 et 823 et de Kham Duc. De ce fait les Américains bombardent massivement la zone, défiolent de vastes étendues de forêts, qui recèlent de nos jours des tonnes d’UXO de tous calibres. Dans le district de Xan Xai s’élève le Phu Kong Lai, la montagne sans arbre, ailleurs, dans des vallées ou en forêt se retrouvent des zones percées de nombreux cratères, témoins de cette époque.

Le parc est créé en 1993. La végétation se compose de forêts sempervirentes et semi-sempervirentes de plaine, de forêts mixtes à feuilles caduques et sèches, de forêts sèches à dipterocarpés, de forêts à fagacées, de forêts sèches et tempérées de conifères et de feuillus, de forêts secondaires recolonisant d’anciens brûlis et sur les sommets de zones à hautes herbes et rhododendrons.

Y sont recensées quatre-vingt-quatre espèces de mammifères, deux cent quatre-vingt d’oiseaux, vers trois cent de poissons et une cinquantaine de reptiles et d’amphibiens. Les plus notables étant le langur douc (Pygathrix namaeus), le gibbon à joues blanches (Hylobates gabriellae), le chat pêcheur (Prionailurus viverrinus), le chat doré (Catopuma temminckii), le léopard nébuleux (Pardofelis nebulosa), le tigre (Panthera tigris), le gaur (Bos gaurus), le Muntjac géant (Megamuntiacus vuquangensis), l’éléphant d'Asie (Elephas maximus), et possiblement le chat des marais Indochinois (Felis Chaus Fulvidina). Parmi les oiseaux se distinguent le faisan prélat (Lophura diardi), l'argus huppé (Rheinardia ocellata), l’aigle pêcheur (Icthyophaga humilis), le pic à collier rouge (Picus rabieri), la mésange à face grise (Macronous kelleyi), le vautour à croupion blanc (Gyps bengalensis), le vautour à tête rouge (Cathartes aura, l’urubu à tête rouge), la cigogne à cou laineux (Ciconia episcopus), la buse à ailes rousses (Butastur liventer) et le grand calao (Buceros rhinoceros). Le crocodile siamois (Crocodylus siamensis) est signalé dans le bassin des basses Xe Xou et Xe Kaman.


LÉGENDES

- Bannière : L’axe de la Nam Xe Kaman, le lac Nong Fatomkleen et les hauteurs du Dong Amphan NBCA.
- Encadré : Jules Harmand et son expédition. Le tour du Monde 1880.

 
Tigre
Tigre. Herbert van der Poll (1877-1963)
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