JANVIER 2023
 
                                                                                                                
 
LE COCOTIER D'EAU
SA MAJESTÉ DES ARROYOS
 
 
Tout voyageur ayant navigué le long des arroyos du delta du Mékong, et spécialement ceux de la province de Ben Tre, garde en général un souvenir impérissable de leurs rives où s’épanouissent de splendides haies de cocotiers d’eau, une variété semi-aquatique que nous évoquons en cette page.

Le Vietnam et l’Asie sont dotés de la plus grande diversité de palmiers du monde et sont profondément intégrés aux cultures locales. Plus d'une douzaine de palmiers indigènes fournissent quantités d'aliments, fibres, boissons, rotin, matériaux de construction et autres produits. Le cocotier d’eau est l’un d’entre eux.

Le cocotier d’eau, palmier d’eau, palmier nipa ou palmier de mangroves (Nypa fruticans) appartient à la sous-famille des Nypoideae. Il est caractéristique des habitats estuariens de l’océan Indien, du Pacifique, des littoraux du delta du Mékong et du golfe du Siam. Le palmier apprécie les eaux boueuses des canaux, les berges de rivières à faible courant et l’amont saumâtre des deltas. Il apparaît superbe le long des cours où il forme des haies verdoyantes, ses palmes ondulant en bosquets denses ou créant des voutes végétales ombragées au-dessus des arroyos.

Son tronc se développe de façon souterraine dans la vase, seules les feuilles et la tige de la fleur croissent au-dessus de la surface. Les palmes peuvent atteindre une hauteur de neufs mètres, elles sont d’un vert étincelant. Les fleurs forment une inflorescence globulaire composée de fleurs femelles à l'extrémité et de fleurs mâles rouges ou jaunes sur les branches inférieures. La fleur produit des noix ligneuses associées en une grappe globulaire pouvant atteindre vingt-cinq centimètres de diamètre. Les noix mûres s’en séparent et flottent au gré de la marée, elles dérivent parfois vers des îles ou remontent loin dans les terres où elles germent. Les macaques à longue queue (Macaca fascicularis) apprécient les inflorescences et les fruits du palmier.

Les humains l’affectionnent en conséquence : ses longues feuilles satinées sont utilisées en guise de toiture, notamment au Cambodge et dans le delta du Mékong, elles permettent d’envelopper divers aliments et le tabac ; les fibres servent pour la vannerie. Dans certaines régions côtières, le tronc est utilisé pour les murs des maisons. Les jeunes pousses sont comestibles, les pétales des fleurs peuvent être infusés créant une tisane aromatique, les sépales constituent des ornements. Les fruits immatures, des genres de boules gélatineuses et translucides sont des ingrédients de pâtisseries.

Le palmier nipa génère une sève riche en sucre, fermentée elle peut produire jusqu’à vingt mille litres par hectare. Son extraction est une pratique pantropicale. Il existe trois techniques. La première consiste à piquer l'inflorescence en développement d'un palmier vivant et à recueillir la sève qui s'écoule dans un récipient. La deuxième consiste en une incision en forme de V pratiquée à proximité du cœur où un récipient est placé pour recueillir la sève s’écoulant. La troisième consiste à abattre le cocotier et à recueillir la sève dans une cavité creusée dans le cœur du tronc, dans le cas de petits palmiers, à défeuiller l'arbre et à tailler la tige pour favoriser l'écoulement de la sève.

La sève peut être consommée de façon naturelle (le neera du sud de l’Inde). Fermentée, elle devient un vin de palme parfois distillé en spiritueux (l’arrack). Bouillie, elle devient un sucre de palme à la couleur brun doré. Si conservée et fermentée dans des réceptacles en terre cuite, elle produit une sorte de vinaigre (le cuka nipah des Malais). La sève est parfois donnée aux cochons puisqu’elle confère une saveur sucrée à la viande.

Au Vietnam, le moyen le plus joyeux de découvrir le cocotier d’eau reste un module en barque ou en kayak le long des verdoyants canaux de la province de Ben Tre. Au Cambodge, le long du Golf du Siam et spécialement en naviguant sur la rivière Ta Tai (sanctuaire de Peam Krasop et le nord-ouest du parc national du Boutum Sakor), une région de méandres aquatiques, formée d’un lacis d’affluents et d’arroyos où le palmier s’épanouit de façon majestueuse

 
Ce monde d'arroyos et de coco s'explore depuis d'exquis repaires : le Mékong Home, un jardin intime lovée au milieu des cocotiers d'eau ; l'Azerai Can Tho, un complexe hôtelier sur un îlot privé fondé par l'hôtelier de renom Adrian Zecha ; et le Neverland de Papillons, une oasis fleurie aux touches stylisées en pleine campagne de Sa Dec
                  

 
 
L'ÉTONNANT M. NGUYEN THANH NAM
LE MOINE COCO ET SON ROYAUME DE BEN TRE
L’humanité a engendré d’un certain nombre de mystiques, parmi eux figure M. Nguyen Thanh Nam, le « moine coco » (Ong Dao Dua). Il est le fondateur de la « religion de la noix de coco », un mouvement religieux vietnamien centré dans la province Ben Tre, actif entre 1963 et 1975. Son maître et ses adeptes y associent le concept nébuleux d’un « royaume de la noix de coco » et une doctrine syncrétique, ondulant entre bouddhisme et chrétienté.

Nguyen Thanh Nam est né le 25 décembre 1910 dans le village de Phuoc Thanh, district de Chau Than (l’ancien Truc Giang), province de Ben Tre, dans le sud-est du delta du Mékong. Il est le fils de M. Nguyen Thanh Truc et de Mme Le Thi Sen. Son père est un mandarin, propriétaire terrien et ministre de 1940 à 1944. Ses jeunes années se passent à déambuler dans les forêts de cocotiers qui caractérisent la province : à l’époque une contrée semi-aquatique reculée où se côtoient bras du Mékong (Bassac et Tien Giang), îles sableuses, mangroves, arroyos ombragés, rizières infinies, palmiers d’eau, bois de cocotiers, vergers, hameaux ensommeillés, vieilles pagodes cambodgiennes, temples caodaïstes ou taoïstes et églises catholiques.

En 1928, son père s’organise pour envoyer le jeune Nam en France. Il étudie sept ans à Rouen et obtient un diplôme d'ingénieur chimiste. En 1935, il revient au Vietnam. Ses talents de chimiste lui permettent de créer une usine de savon à Ben Tre, avec comme unique ingrédient la noix de coco. Il épouse Lo Thi Nga, de leur union née une fille, Nguyen Thi Khiem. Sa vie durant l’occupation japonaise est un peu obscure ; au début de la guerre d’Indochine il rencontre des déboires avec la sureté française : la maîtrise du français et son accent parisien lui valent d’avoir la vie sauve in extremis.

En 1945, suite à cet incident et pris d’un élan mystique, il quitte ou s’enfuit de Ben Tre. Il passe quelque temps avec le maître Thich Hong Toi de la pagode d’An Son à Chau Doc. Suivant la chronique, il y reste trois ans, assis sur un piédestal de pierre devant le mât de la pagode, il y endure vent, soleil et moussons, il y garde un silence méditatif. Son corps n’est qu’os et peau. En 1948, il s’installe sur un pont de Tien Giang (au nord de Mytho) et y reste assis un certain temps en contemplation.

En 1950, il revient à son village natal de Ben Tre. Il y mène une vie monastique et ne mange que des fruits, principalement des noix de coco, d’où son titre. Il décide d’installer une station radio afin de broadcaster des messages dévots. En 1958, il écrit une lettre de protestation au président Ngo Dinh Diem, ce qui lui vaut d’être arrêté, puis rapidement relâché.

En 1963, il fonde la « religion de la noix de coco ». Un amalgame de bouddhisme, de christianisme, d'hindouisme, de taoïsme et d'un amour infini pour la noix de coco. A Con Phung, commune de Tan Thach, il construit la pagode de Nam Quoc Phat, son Saint-Siège. En parallèle, il fait ériger sa célèbre pagode flottante, une barge colorée de plusieurs centaines de tonnes, surélevée d’étages bétonnés recouverts de symboles et de statues représentant lotus, dragons et noix de coco. La pagode est ancrée non loin d’un terrain de l’île du Phoenix (Phung), sur lequel il fait édifier des maisons d'hôtes pour disciples et pèlerins, des colonnes ouvragées de dragons rugissants y surgissent çà et là, il y dessine des jardins fleuris.

Malgré la Guerre du Vietnam, s’en suit une période assez prospère, ses disciples sont au nombre de quatre mille, l’un d’entre eux est John Steinbeck IV, le fils du romancier américain John Steinbeck. En 1971, il est candidat à l'élection présidentielle sud-vietnamienne. Son sanctuaire de l'île de Phoenix devient un symbole de paix et de réconciliation. A ce stade de sa vie, Nguyen Thanh Nam bénéficie d’une certaine aura, son épiscopat est considéré comme étant le « royaume de la coco ». Il est M. Coco, M. Nam, le moine coco, l’oncle Hai, le prophète du Concorde ou le Vaisseau de la noix de coco. Après Lo Thi Nga, il épousera huit autres femmes, elles figurent dans son Saint-Siège sous la forme de neufs dragons féminins. Il est également connu pour les faits suivants :

- Il ne se baigne qu'une fois par an, le jour de l'anniversaire de Bouddha.
- Il se dit être la réincarnation de l’empereur Minh Mang.
- Il ne mange qu’une fois par jour, à midi. Son repas se comporte de trois noix de coco et de quelques légumes verts.
- Il n’absorbe ni sel ni sucre.
- Il ne boit pas d’eau mais que du jus de coco.
- Il n’utilise que rarement la langue vietnamienne. Il exprime ses pensées via des notes sur papier. Il évite de parler pour conserver « la force de l’esprit ».
- Il médite toutes les nuits, de 18h à 6h du matin, juché sur une haute tour, … ou installé sous un cocotier.

Mais le vent tourne. En 1975, sous le nouveau régime, sa religion considérée comme une secte, est dissoute. Ses terrains et ses possessions sont confisqués. M. Nam essaye de s’enfuir via la mer mais n’y parvient pas. Il est arrêté et envoyé en camp de rééducation. A sa libération, il revient à Ben Tre et y reprend quelques activités occultes. Il réunit ses disciples, achète un bateau, ré-établit sa station radio, il instaure une nouvelle religion basée autour de famille, religions et enfants. Ces mouvements sont mal perçus par les nouvelles autorités locales. En 1989, après moult déboires, il s’exile à Saigon avec quelques disciples, il s’en voit expulsé mais y réside un certain temps illégalement. Il revient à Ben Tre. D’après la version permise, le 12 mai 1990, lors d’une arrestation, il choit, se blesse au crâne. Le 13, il succombe à ses blessures à l’hôpital de Ben Tre. Il a quatre-vingt et un an.

M. Nguyen Thanh Nam est enterré dans son village natal. La tombe a la forme d'une tour en forme de triangle. Sur l'un des côtés figure une carte du Vietnam, sur les deux autres, des images de dragons grimaçants. Suivant son désir, son corps est placé en position debout. D’après la croyance locale, il ne s’y serait pas décomposé.

Le moine fait l’objet d’un livre : The Coconut Monk. Thich Nhat Hanh (auteur) et Vo Dinh Mai (illustrateur). 2009, aux éditions Plum Blossom Books.

Depuis une dizaine d’année, dû à des liens historiques familiaux et de cœur, la direction de Secret Indochina développe et sponsorise divers projets dans la province de Ben Tre, notamment le Coco Lodge et le Mékong Home. A partir de 2023, par passion pour cette région verdoyante et ses particularismes, l’agence développe un module autour du personnage. Il permet de visiter sa tombe, de rencontrer des membres de sa famille, de découvrir son village natal, de déjeuner à bord de son bateau (de nos jours un restaurant de Ben Tre), de visiter des vestiges de l’île du Phoenix et en passant de déguster de succulentes noix de coco à sa santé vénérable


© Crédit illustration : Richard Avedon
 
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