NOVEMBRE 2021
 
CONTENU
  • Vann Molyvann, génie-bâtisseur de l'âge d'or du Cambodge moderne
  • En mémoire du lieutenant-colonel Dang Van Viet
  • Le pandanus, un arbre-monde d'Asie-pacifique
VANN MOLYVANN
GÉNIE-BÂTISSEUR DE L'ÂGE D'OR DU CAMBODGE MODERNE
À l’occasion de l’anniversaire de sa naissance, le 23 novembre 1926, Secret Indochina met à l’honneur Vann Molyvann, cet architecte prodige, symbole de l’âge d’or du Cambodge des années 1960, et père des plus éminentes constructions du mouvement dit de « nouvelle architecture khmère ».

En 1946, jeune diplômé du lycée de Sisowath de Phnom Penh, la capitale khmère, Vann Molyvann obtient une bourse pour prolonger ses études en France, où il intègre l’École des beaux-arts à Paris. Il se prend alors de passion pour Charles-Édouard Jeanneret-Gris dit Le Corbusier, ce virtuose architecte, urbaniste, homme de lettres, peintre, et designer qui mêle avec génie l’héritage et la modernité dans les œuvres qu’il réalise à travers le globe. En 1956, Moly retourne dans son pays natal ayant acquis depuis peu son indépendance, après quatre-vingt-dix années de protectorat français. Le Cambodge entre ainsi dans ce que l’on nomme l’époque du Sangkum Reastr Niyum, période de l’exercice personnel du pouvoir par Norodom Sihanouk, monarque insubmersible qui instaure une forme d’autoritarisme aux tons socialistes. Ce dernier nomme Molyvann architecte en chef du Royaume et lui confie la tâche d’aider son pays dans la construction de son futur. Mission pour laquelle ce jeune architecte s’emploie avec ferveur et audace en imposant un style unique aux nouveaux bâtiments publics, qui entrecroise le modernisme étudié en France aux subtilités liées à la mythologie khmère, et à l’esthétique de l’habitat traditionnel.

Durant cette période de paix presque miraculeuse, au cours de laquelle son voisin vietnamien s’enlise lui dans un conflit bourbeux, Vann Molyvann affirme ses partis pris pour ériger les plus emblématiques édifices de son époque, comme notamment à Phnom Penh : la salle de conférence Chaktomuk inaugurée au bord du Tonlé Sap en 1961, dont la structure rayonne en forme d'éventail à l’image d’une feuille de palmier ; le monument de l’Indépendance construit d’après le temple de Banteay Srei en 1961, un symbole de la ville qui met l’emphase sur la continuité entre la culture ancienne et moderne ; le Complexe Sportif National érigé au norme olympique en 1964, pour originellement accueillir les jeux d’Asie du Sud-Est péninsulaire en 1963 (un évènement finalement avorté), où le général de Gaulle prononce son discours critiquant la politique américaine au Vietnam, le 1er septembre 1966, devant une foule de cent mille personnes ; le « building blanc », une série d’appartements censés servir de villages olympiques, utilisés par la suite comme logement pour les fonctionnaires ; le palais d’État, accueillant aujourd’hui le Sénat, dont la particularité tient dans ses plaques de béton pliées, formant un double toit en nid d'abeille ; ou encore l’Institut des langues étrangères situé sur le campus de l’université royale de Phnom Penh, une réinterprétation d’Angkor Vat, considérée comme son chef-d’œuvre. L’architecte supervise aussi la construction de nouvelles villes comme Tioulongville (Kirirom) ou la cité balnéaire de Sihanoukville (Kampong Som).

Lors de cette période prospère, Vann Molyvann affirme sa patte artistique qui suit les principes suivants : « ne pas cacher la structure, ne rien habiller, révéler en transparence le processus de la construction ». Un talent avivé par les précieux soutiens de deux experts de l’ONU, Vladimir Bodiansky et Gerald Hanning, qui participe lui au Modulor, le célèbre outil de proportions de Le Corbusier, auquel il initie Moly, notion architecturale que ce dernier utilise alors dans toutes ses créations. Sa marque de fabrique, qui se distingue aux côtés de ses homologues architectes (dont les plus célèbres sont Lu Ban Hap, Chhim Sun Fong, Seng Suntheng et Mam Sophana), dresse finalement les piliers du mouvement émergent dit de « nouvelle architecture khmère ». Ce style architectural à la vision holistique se caractérise par l'usage de nouveaux matériaux de l'époque (comme le béton armé), et l’adaptation aux conditions climatiques tropicales de l’Asie du Sud-Est, par un contrôle des flux d’eau, de chaleurs, et de vents, via notamment des systèmes d’aération naturelle et une subtile maîtrise des jeux de lumière, dont les loggias (balcons et allées couverts) et claustras (décoration ajourée) en sont les plus symboliques représentants. Il met aussi en exergue la culture et la vie quotidienne des cambodgiens avec parfois un design inspiré d’objets traditionnels (chapeau de paille, éventail, flèche dorée…), ou des éléments structurels tirés des traditions d’Angkor (douves, passerelles surélevées, ornement de toit…).

Le 18 mars 1970, le coup d’État mené par le général Lon Nol - soupçonné d’être appuyé par Washington - dépose Sihanouk qui s’exile alors à Pékin. Vann Molyvann lui, prend le large en Suisse où il rejoint sa femme Trudy Amberg, la déléguée des Nations unies au Royaume du Cambodge de l’époque qu’il rencontre grâce à son mentor Hanning en 1961, et avec qui il a trois filles et un fils. Dès lors, il s’investit une dizaine d’années dans le programme des Nations unies pour les établissements humains (UN Habitat), dont le but est de promouvoir des villes de développement durable pour fournir des abris pour tous. Il intervient à Nairobi, au Kenya, et à Vientiane au Laos.

En 1991, il retourne au Cambodge et devient successivement Président du conseil des ministres dans le Gouvernement Hun Sen, Ministre d’État en charge de la Culture et des Beaux-Arts, puis de l’Aménagement du territoire, de l’Urbanisme et de la Construction, sans toutefois se voir attribuer l’urbanisme de sa ville natale Siem Reap, qui lui tenait à cœur. Il intervient aussi en tant qu’instigateur dans le classement du site d'Angkor à l'UNESCO, et Président de l'autorité APSARA (Autorité pour la Protection du Site et l'Aménagement de la Région d’Angkor) qui gère le site d'Angkor. Au cours des années qui suivent, il assiste impuissant au développement hôtelier effréné lié au tourisme à Siem Reap, et à Phnom Penh. En 2008, il obtient un doctorat en organisation et développement des cités asiatiques avec sa thèse intitulée les villes modernes khmères. Il finit sa vie à l’âge de quatre-vingt-dix ans dans sa modeste maison à Siem Reap, près des temples d’Angkor. Avec lui s’envole un symbole de l'excellence des architectes cambodgiens, créateurs intemporels de joyaux somptueux


 
EN MÉMOIRE DU
LIEUTENANT COLONEL DANG VAN VIET
 
 
Le Nord-Est Vietnam (Ha Giang - Cao Bang) est célèbre pour ses massifs calcaires, ses peuples et son histoire. Il l’est également pour une de ses légendes : le lieutenant-colonel Dang Van Viet. Il y a un an, nous célébrions le soixante-dixième anniversaire des combats de la RC4 (octobre 1950) et, en cette page, nous honorons la mémoire du fameux « Roi de la RC4 », décédé le samedi 25 septembre 2021 à l’hôpital d’amitié Vietnam-Russie de Hanoi.

Le lieutenant-colonel Dang Van Viet est connu sous les noms de « Tigre ou Loup gris de la RC4, Napoléon vietnamien, Roi de la RC4 ou général sans étoiles ». Il né dans la province de Nge An en 1920, issu d’une famille aristocratique : son père, Dang Van Huong, est vice-ministre de la justice sous la dynastie des Nguyen. Durant son adolescence, il est ami avec l’impératrice Nam Phuong (Parfum du Sud). Pendant les « années Decoux », il est scout, puis il étudie la médecine deux ans à l’université de Hanoi ; après le coup de force des Japonais de mars 1945, il s’engage dans les rangs des forces armées de la République démocratique du Vietnam. Le général Giap, qui est son ami, lui confie le front Nord-Est et le régiment 174, le régiment de la RC4 est fondé.

De 1947 à 1950 Dang Van Viet et ses hommes mènent divers attaques et embuscades sur l’axe et les forts de la RC4 et RC3. Il y applique les principes de l’Art de la Guerre de Sun Tzu : l’ennemi avance, nous reculons ; l’ennemi s’arrête, nous le harassons ; l’ennemi est fatigué, nous l’attaquons ; l’ennemi se replie, nous le poursuivons. Après la victoire de la RC4, pendant tout le reste de la guerre d’Indochine, le lieutenant-colonel mène divers combats et opérations, notamment celle de « sur le dos du Dragon », opération visant à harceler les alentours de Hanoi. Durant sa carrière militaire, il accumule cent vingt engagements, dont seulement quatre de perdus. Après la guerre, il est « écarté » et envoyé comme instructeur dans une école militaire en Chine.

À son retour, il quitte l’armée et fait carrière comme ingénieur civil. Il se marie, a deux enfants. Il écrit ensuite plusieurs livres sur la campagne de la RC4, dont « Les souvenirs d’un colonel Vietminh » (Indo Éditions. Paris, 2006). À la fin de sa vie, entre quatre-vingt-dix ans et cent deux ans, il se dédie corps et âme à deux projets principaux : écrire une histoire militaire du Vietnam et, peut-être le plus important de tous, la réhabilitation de la mémoire et nom de son père.

Dang Van Viet fait partie de la génération des anciens, même s’il combat la France, il l’aime comme une mère, il connaît sa langue et ses subtilités, il aime ses hommes, ses terroirs, ses châteaux, ses fromages, ses vins, ses pâtisseries, sa musique, sa littérature et son humanisme.

Dans le cadre du développement de divers projets dans la province de Cao Bang, Secret Indochina rencontre Dang Van Viet. Une amitié se crée, sa passion pour cette contrée est toujours vive, sa mémoire limpide. Pour nous, il devient un mentor, un exemple d’homme, de vie, de courage, d’ouverture d’esprit, d’intelligence et d’humilité.

Sa légende et sa mémoire flottent désormais sur les monts brumeux de Cao Bang


 
LE PANDANUS
UN ARBRE-MONDE D'ASIE-PACIFIQUE
 
 
En cette édition automnale, Secret Indochina revient vers les littoraux du centre-sud Vietnam et l’un de ses merveilleux particularismes : le pandanus.

Le pandanus (ordre des Pandanales, famille des Pandanaceae) est une « plante-arbre », parfois arbuste, à l’allure d’un palmier ; également connu sous l’appellation de baquois, pandan, palmier à vis, pin à vis, pain-fruit. Le genre pandanus contient environ sept cent espèces. Le pandanus est caractéristique des baies et des côtes de la zone Asie-Pacifique, d’Océanie et des îles du large de l’Afrique. Il apprécie surtout les îles et les atolls stériles, certaines espèces sont adaptées aux montagnes-maritimes et aux forêts associées. Au Vietnam, il se retrouve principalement le long des côtes rocheuses des provinces du centre-sud ; il est présent au Cambodge, notamment sur l’île de Koh Kong.

Le pandanus apprécie le piémont des dunes maritimes, les hauteurs des plages ou les fonds de criques d’où il peut mieux résister aux typhons, aux vents brûlants de la saison sèche et aux embruns salins. Les plus petits mesurent un mètre, les plus hauts plus de vingt mètres. Ils sont supportés par des racines à l’allure d’échasses, de forme pyramidale et permettant d’étayer les fruits, le tronc principal et d’ancrer l’ensemble dans le sable ou dans le sol parfois instable du littoral. Suivant les conditions, les branches sont tentaculaires et imbriquées. En son sommet, le pandanus se divise en plusieurs couronnes de feuilles épineuses, pouvant atteindre vers les deux mètres ; le tronc est creux, suivant les espèces, lisse, marbré ou cerclé de série d’anneaux velus.

Ses fruits, assemblés en de lourdes grappes globulaires, ont des sections prismatiques et une teinte changeante, entre le verdâtre, l’orangé, puis le rougeâtre lors de leur maturité, le processus durant en moyenne un an. Finalement, les graines se détachent et se propagent, essentiellement en flottant solitairement le long de ruisseaux, rivières et baies, de criques en criques, ou vers le large, d’îles en îles. Elles sont appréciées par la chauve-souris, les oiseaux, l’éléphant, le rhinocéros, les crabes et certains cétacés.

Les humains font pareillement grand usage du pandanus : « avant contact », chez les populations aborigènes des archipels du Pacifique Sud, notamment chez les Kabi Kabi, le pandanus est un arbre-monde ; d’après les recherches du Dr. Ray Kerkhove ses usages y sont variés (The Pandanus: historic occurrence and aboriginal uses. Moreton to Wide Bay districts. 2017). Il sert de « corde à mâcher » : les racines sont macérées dans un mélange de miel, d'abeilles mortes, de larves et de bois mort ou pourri, elles sont ensuite mâchées et sucées, « une occupation contemplative très prisée par les anciens ». Un breuvage est distillé avec ses fruits et du miel : le vin de pandanus. Ses tiges sont fibreuses, riches en eau, mâchées, elles permettent de se réhydrater. Un bosquet de pandanus (des pandanaies) indique de temps à autre la présence d'eau à proximité ou en dessous : les racines forment un genre de passoire-filtre purifiant l’eau, elle-même aspirée via des longs tubes. Les fleurs sont utilisées comme onguent et décoration des cheveux. Les feuilles et les fibres tressées permettent de créer robes, ornements, parures, colliers, coiffes, paniers, nattes, hottes, plateaux, éventails et cordes. Les femmes peuvent utiliser la fleur très parfumée du pandanus comme invitation intime à l'amour ou en composante d'un onguent pour le corps. Les toitures sont en feuille de pandanus, parfois en rondins parallèles en guise d’évacuation des eaux. Ses graines et son bois sont utilisés comme projectiles pour entrainer les novices à la guerre. Des réceptacles en pandanus permettent de contenir des « bâtons de feu » (une arme). Son bois sert au feu quotidien ou à celui de cérémonies rituelles (les corroboree) ; les braises permettant de cuire des aliments en papillote de feuille de pandanus. Les troncs, « les bûches à nager » sont utilisés comme flotteur, pour naviguer le long de la côte, parfois d’îles en îles. Finalement, il est sujet à divers mythes et légendes.

Dans les annales occidentales, une des premières mentions concernant le pandanus provient de l’auteur grec Ctésias, médecin grec formé à l’école médicale de Cnide. Vers 398 Av. J.-C, il est captif à la cour perse d’Artaxerxès II, il en rapporte deux ouvrages botaniques : les Persica et les Indica. D’après lui, le pandanus est la propriété exclusive du « roi des Indiens, il ne se trouve que dans les jardins royaux, seul le roi peut se procurer ce produit, ainsi que les membres de sa famille ». Ctésias mentionne un arbre au parfum de rose, vraisemblablement le Pandanus odoratissimus, dont les Indiens obtiennent de l’huile essentielle avec « ses fleurs parfumées ». « L’arôme exotique emplissait l’air avec la mystérieuse odeur pénétrante de cette fleur extraordinaire. Son premier impact olfactif est celui d’une intense acuité. Il est pénétrant et apte à se diffuser à un degré stupéfiant » (Suzanne Amigues. La flore indienne de Ctésias : un document historique. Journal des savants, 2011).

En Asie du Sud-Est péninsulaire, notamment en Malaisie et Thaïlande, les feuilles de pandanus sont utilisées pour confectionner des nattes : elles sont coupées en fines lamelles, triées, puis tissées et colorées. Les feuilles sont occasionnellement usitées pour fabriquer sacs et voiles. Au Cambodge, le pandanus est appelé « ramcek », ses feuilles servent à la confection des nattes et sont parfois employées pour fixer des éléments de couverture des maisons aux chevrons ; ses fleurs d'un fort arôme servent à parfumer le linge. Les Bru de Ratanakiri (un groupe proto-indochinois du haut plateau cambodgien) en confectionnent des nattes et en font les empennages pour les carreaux d’arbalète.

Les feuilles de la variété Pandanus amaryllifolius, dénommée « vanille d’Asie », sont appréciées en tant que bouquet-garni pour parfumer ragouts, currys et riz pilaf, pour confectionner un gâteau à l'extrait de feuille de pandan ; finement hachées, elles deviennent des confettis parfumés, en usage lors de diverses cérémonies. Les feuilles ornent épisodiquement les cheveux et en Inde un extrait (le Kevada) en est distillé. Les Vietnamiens préparent le « ban-duc », une confiserie à la saveur de pandan et au lait de coco. Le chef et écrivain culinaire britannique N. Lawson célèbre les mérites du pandanus et note qu’il sera l'objet d'une future attention internationale. En 1892, Paul Gauguin célèbre aussi le pandanus en le plaçant dans un de ses tableaux (I raro te Oviri – Sous les pandanus).

Les fruits du pandanus sont renommés dans la médecine traditionnelle : pour les maux de tête, les rhumatismes, l’épilepsie, les plaies, les furoncles, la gale, les ulcères, la colique, les hémorroïdes, l’hépatite, la variole, la cirrhose du foie, le diabète, la lèpre, les calculs rénaux, la syphilis, le cancer, comme antioxydant et aphrodisiaque.

Au Vietnam, le pandanus se retrouve sporadiquement dans certaines régions du nord et surtout en des sites côtiers isolés des provinces de Khan Hoa, Ninh Thuan et Binh Thuan. Via un module de Secret Indochina, il est possible d’y contempler quelques spécimens, ce dans les parages de la dune-maritime du cap Mui Yen. Une rencontre rare et presque émouvante avec cette espèce emblématique de l’admirable littoral rocheux du centre-sud Vietnam


© Crédit illustration : Rachel Newling


 
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