TROIS SANCTUAIRES ORNITHOLOGIQUES
DU CENTRE-NORD CAMBODGE
SEPTEMBRE 2021
À l’heure de l’anthropocène, l’impact de l’activité humaine sur la biosphère atteint un tel niveau qu’il s’inscrit désormais au rang de contrainte géologique dominante, capable de toucher la lithosphère. Dans cet environnement évolutif, les écosystèmes tentent de perdurer tant bien que mal. C’est le cas de la cinquantaine de milliards d’oiseaux vivant sur terre. À travers ce papier, Secret Indochina met en lumière trois sanctuaires ornithologiques du Cambodge, où l’observation de certains des plus insaisissables oiseaux est encore possible.

Sur l’extrême nord-ouest, au niveau de la province de Banteay Meanchey, à deux heures de trajet routier de Siem Reap, se situe la réserve naturelle Ang Trapeang Thmor, un écosystème unique d’une superficie de douze mille six cent cinquante hectares, où se juxtaposent zones humides, prairies, forêts sèches de diptérocarpacées, forêts de bambous et étendues d’eau. Cet espace est créé en 1999 afin de protéger la précieuse Grue antigone, le plus grand des oiseaux volants, de la famille des gruidés, une espèce de grands échassiers pouvant atteindre 1,8 mètre de hauteur ; qui réside toute l'année dans le nord du Pakistan et de l'Inde, au Népal, dans le Queensland en Australie et en Asie du Sud-Est. Aussi, cette réserve sert de gîte à plus de deux cents espèces d'oiseaux, dont la Chouette des pagodes (Strix seloputo), parfois appelée chouette-obscure, l'Aigle criard (Clanga clanga), le Pluvier oriental (Charadrius veredus), le Canard sylvicole (Sarkidiornis sylvicola), le Milan noir (Milvus migrans) ou encore le Jabiru d'Asie (Ephippiorhynchus asiaticus). C'est également la demeure de Thamins ou cerfs d'Eld (Cervus eldii ou Rucervus eldii), de macaques à longue queue (Macaca fascicularis), de tortues boîte de Malaisie (Cuora amboinensis), de tortues malaises mangeuses d'escargots (Malayemys macrocephala) et de tortues à tête jaune (Indotestudo elongata).

Plus au sud, dans la partie nord-ouest du lac Tonlé Sap, se trouve la réserve ornithologique de Prek Toal - intégrée dans la réserve de biosphère du Tonlé Sap inscrite à l’UNESCO - la plus grande colonie d'oiseaux aquatiques d'Asie du Sud-Est, avec environ cent mille couples reproducteurs. Couvert principalement de forêts marécageuses d'eau douce, ce site Ramsar (zone humide d'importance internationale) profite de la montée et de la descente des eaux du Tonlé Sap, qui alimentent en sédiments et nutriments les forêts inondées, et stimulent ainsi la croissance des plantes et des poissons, un véritable garde-manger pour les volatiles sauvages qui fréquentent les lieux. Au sein de cette zone restreinte, prospèrent nombre d'espèces rares comme le Marabout argala (Leptopilos dubius) parfois nommé le Grand adjudant, le Marabout chevelu (Leptoptilos javanicus), le Pélican à bec tacheté (Pelecanus philippensis), le Tantale blanc (Mycteria cinerea), le Tantale indien (Mycteria leucocephala), l'Ibis à tête noire (Threskiornis melanocephalus), l'Anhinga roux (Anhinga melanogaster ), parfois appelé oiseau-serpent, le Pygargue à tête grise (Haliaeetus ichthyaetus), et des sous-groupes de Cormoran (Phalacrocoracidae). Ces spécimens abondent particulièrement pendant la saison sèche de novembre à mai.

Au nord-ouest, la réserve naturelle de Kulen Promtep qui se superpose entre les provinces de Otdar Mean Cheay, de Preah Vihear et de Siem Reap, est intégrée dans le Cambodge Wildlife Sanctuary, un territoire d’un million d’hectares, en grande partie plat, couvert de vastes forêts de diptérocarpacées à feuilles caduques, semblables à des savanes, dans une mosaïque complexe de prairies, de zones humides saisonnières, de forêts semi-vertes et des plus grands marécages du pays. Il constitue l’un des derniers refuges au monde du quasi-mythique Ibis géant (Thaumatibis gigantea), un symbole du Cambodge - deux timbres nationaux sont à son effigie - inscrit en danger critique d’extinction sur la liste rouge de l'IUCN (Union internationale pour la conservation de la nature), un oiseau ne dénombrant pas plus de trois cents individus dans le monde, confinés principalement au nord du Cambodge, et en nombre modeste dans l'extrême sud du Laos et dans le parc national de Yok Don, au Vietnam.

Au sein de cet écrin de nature prolifèrent d’autres espèces en danger critique comme l’Ibis de Davison (Pseudibis davisoni), le Vautour à long bec (Gyps tenuirostris), la Grue antigone, et d’autres vulnérables comme l’Aigle lancéolé (Clanga hastata), le Fauconnet à pattes jaunes (Polihierax insignis), le Fauconnet à collier (Microhierax caerulescens), le Busautour pâle (Butastur liventer), l’Alouette d’Indochine (Mirafra erythrocephala), le Prinia des montagnes (Prinia polychroa), la Sittelle de Blyth (Sitta cinnamoventris), le Rhipidure à grands sourcils (Rhipidura aureola), et la chauve-souris à queue libre de Wroughton (Otomops wroughtoni). Cette réserve est aussi le dernier sanctuaire du possiblement éteint Kouprey (Bos sauveli), un bovidé sauvage apparenté au banteng et au gaur, dont la dernière observation à l’état sauvage remonte à 1969-70.

L’observation de ces spécimens peut s’effectuer lors d’un séjour au village de Tmatboey Community Managed Ecolodge, un projet de tourisme soutenable centré sur la protection des habitats naturels et l’étude de la faune, qui inclut les communautés locales via une rétribution directe



© Illustration de Johanna Hildebrandt


 
LES KHMU
À PROPOS D'UN VIEUX PEUPLE LAOTIEN
 
 
En cette page, Secret Indochina aborde le sujet des Khmu, peuple emblématique et pourtant méconnu du Laos. Les Khmu sont les premiers habitants du Laos, leur implantation remonte à des temps immémoriaux, leur ancienne capitale royale se situe au septentrion de la région de la Moyenne Nam Ou.

Les Khmu (Khammu, Kmhmu ou Kemu) appartiennent à la famille austroasiatique (Môn-Khmer), au Laos ils constituent un ensemble de quatre cent cinquante mille âmes. Ils sont organisés en sous-groupes, les principaux sont les Ou (au sud des provinces de Phongsaly et de Houaphan, dans le nord de celle de Luang Prabang), les Rok (ou Hok, vers Oudomxay), les Lu (au nord d’Oudomxay), les Me (au nord-est de la province de Luang Prabang et dans la Nam Et), les Khong (au sud d’Oudomxay), les Kouene (sud de Louang Namtha) et les Nuang (au nord d’Oudomxay).

Les Khmu sont de culture patrilinéaire et parfois nommés P’u Ling (hommes d’en haut) ou Kha Khmu par les Laos (Kha correspondent à sauvages, hommes de bois). Les Khmu descendent des royaumes khmu dont les territoires s’étendent naguère sur tout le nord Laos, une partie du nord-ouest Vietnam et le nord de la cordillère annamitique. La capitale de ces royaumes se situe aux alentours de Muang Noi ; les traditions locales relatent que leurs trésors dorés auraient été enfouis dans les massifs calcaires dominant la Moyenne Nam Ou. Ces royaumes disparaissent entre les VIIe et Xe siècles, sous le coup des vagues migratoires thaï venues de Chine. Les Khmu sont également liés au royaume de la Plaine des Jarres (Phongsavan).

La société khmu est agraire sur base de civilisation d’essarteurs où cueillette, chasse et pêche font partie du quotidien. Les Khmu cultivent le riz blanc et le riz noir ou rouge gluant de montagne, le maïs, la banane, la canne à sucre, le concombre, le haricot, le sésame et autres légumes. La plupart des travaux agricoles sont effectués en commun, les semis et les récoltes du riz usuellement effectués par les femmes. Le riz est stocké dans des greniers à l'extérieur du village pour le protéger du feu et des nuisibles via des structures surélevées sur pilotis.

Avant les années 1950, les Khmu établissent leurs villages le long de rivières ou sur des lignes de crêtes isolées, ceux-ci sont fortifiés afin de se prémunir des fauves nocturnes, des hardes d’éléphants, des razzias de groupes voisins ou en cas de guerre tribale et autres menaces extérieures. Les fortifications sont en bambou ou en bois, parfois formées de deux enceintes parallèles percées de deux portes sur les plots desquelles sont figés des gris-gris protecteurs.

Les maisons sont juchées sur des pilotis d’un mètre cinquante et se divisent en deux ou trois alcôves suivant les cas ; des talismans en protègent l’entrée principale, des autels sont placés à l'extérieur du périmètre pour éloigner les incendies et les tempêtes. Chaque maisonnée khmu est censée être sous la protection d'un totem, un sanglier ou un aigle par exemple. Les Khmu pensent qu'une maison, un village et ses environs sont intégrés aux esprits de la terre, des espaces sacrés et ritualisés. Traditionnellement une maisonnée khmuique est exposée en direction du levant, elle possède une porte à l'est et une autre orientée vers le nord ou vers le sud et se prolonge par un long balcon orienté vers l’est, ce dans le cadre d’une ancienne tradition de vénération de l’esprit du soleil. Une autre raison à cette orientation est le fait que les Khmu croient que cette étoile a le pouvoir de repousser les diables, les fantômes et les esprits néfastes, ces derniers craignant les rayons matinaux de l’astre ; la raison pragmatique est que cette orientation permet d’éloigner les nuisibles, insectes, bactéries, rats et serpents.

Un des rites principaux est le sacrifice du buffle, en l’honneur du cycle du paddy, avant ou après les cultures, ou en cas de guerre, d’inondation, d’épidémie et autres désastres. Les Khmu vivent dans la crainte des esprits, les Rroïs (Hroi), leurs formes sont multiples : esprits des bois (Rroïs-yu), des arbres (Rroïs-torteri), des eaux (Rroïs-yong), des sommets, du vent, des maisons ou les Rroïs-su (des vampires), les Rroïs-poop (des esprits-vengeurs ou possesseurs) et les Rroïs-pong (des esprits-fous). Les grands-anciens, fréquemment chamanes, sont recouverts de tatouages, pour se protéger de certains esprits ou pour en attirer d’autres ; des récits font état de guerres-invisibles entre sorciers, ces derniers ayant le pouvoir d’utiliser certains esprits démoniaques à des fins punitives. Les chamanes khmu peuvent accéder aux esprits via le rituel du sacrifice du buffle ou en comptant des grains de riz, en observant les taches d’un blanc d’œuf, en analysant des calendriers lunaires ou en comptant des plantes découpées…, une fois le contact établit, diverses voies s’entrouvrent, elles permettent, entre autres, de guérir, de prédire, de prévenir ou de punir via diverses formes de malédictions et d’envoutements plus ou moins puissants.

La tradition khmu est traditionnellement transmise oralement lors de récits historiques et de légendes. Les séances s’accompagnent de partage de pipes en argent garnies d’opium, désormais officiellement remplacées par le tabac ou par le lao-lao (l’alcool de riz local). Quatre fêtes principales rythment l’année khmuique : la plantation du riz, la récolte du riz, le nouvel an, et les fêtes d’élimination des péchés. Des sacrifices sont faits avant les semis et peu avant les récoltes : des rituels champêtres en l’honneur de l’âme du paddy, pour celle des rivières et des bois alentours. En l’honneur de la dame paddy, les Khmu tambourinent sur des gongs (les yan), cette méthode permet au soleil de briller et de chasser la pluie. Si c’est le cas, une cérémonie de remerciement au soleil est organisée avec des gongs de bronze, les heurbang greh.

Les Khmu enterrent les défunts dans des cimetières à quatre sections : une pour les morts naturelles, une pour les morts accidentelles, une pour les enfants et une pour ceux qui sont décédés loin de chez eux. Les Khmu possèdent d’autres caractéristiques, par exemple leur art de la vannerie (les hottes étant réalisées par les hommes entre juin et août), leur fabrication d’alcool de maïs, de riz ou de banane via des systèmes d’alambic (réalisé par les femmes en saison sèche), leur habilitée à forger, le port des hottes frontal et, dans certains districts, l’élevage d’éléphants (spécialement vers Xayabury).

Depuis le début des années 1990, Secret Indochina mène diverses missions de reconnaissance dans le bassin de la Haute Nam Ou et spécialement dans la partie centrale et septentrionale des monts du Phu Sang, contrée reculée où se situent divers villages khmu-ou. Outre l’unicité de ses populations, le Phu Sang (la chaîne de l’Eléphant), dénote de par ses paysages et milieux naturels. Ceux-là même qui forgent des groupes et constituent une muraille naturelle qui durant les dernières décennies a pour effet de sanctuariser certaines communautés khmu et tibéto-birmanes (O’pa et Luma). Les villages les plus notables sont localisés sur les contreforts nord-ouest, le long de la rivière Nam Leng (Ban Chaho, Ban Phiaoux), et sur les flancs orientaux (Ban Sakeo, Ban Namloy, Ban Tonlung, Ban Mokgnom), ces derniers dominant la Haute Nam Ou et ses gorges. Les recherches de Secret Indochina y permettent d’y développer divers modules ; en parallèle, elles œuvrent sur le concept de mémoire, pour ce cas les Khmu, ce vieux peuple presque oublié d’au-dessus des nuages


© Crédit illustration : Marc Taro Holmes

 
Secret Indochina
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