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SEPTEMBRE 2023
CONTENU
La panthère nébuleuse, le grand félin des nuages.
Anouvong d'Heritage Line, voyage sur le Haut Mékong laotien.
Ponthiamas, un royaume chinois des mers du Sud.
LA PANTHÈRE NÉBULEUSE
LE GRAND FÉLIN DES NUAGES
En parallèle du tigre, un des rois des forêts d’Indochine est le tigre nébuleux, plus connu sous la dénomination de panthère nébuleuse ou de léopard nébuleux. Félin aussi mystérieux que rare, l'un des plus insaisissables des forêts, il peuple les solitudes des derniers sanctuaires naturels d’Asie du Sud.
La panthère nébuleuse (
Neofelis nebulosa
) doit son nom aux longues bandes et taches ornant sa robe et dont les motifs rappellent les nuages ou les brumes des hauteurs forestières. Les Chinois l’appellent parfois léopard de menthe, pour les Cambodgiens, il est le grand félin des nuages, pour les Birmans, il est le léopard des arbres, pour les Malais il est le harimau-dahan (le tigre des branches).
Cette panthère se distingue par ses canines supérieures relativement plus longues que chez tout autre félidé vivant : elles ressemblent à des défenses, avec un bord postérieur tranchant, ce qui amène certains scientifiques à la comparer au tigre à dents de sabre (
Thylacosmilus atrox
), disparu il y a onze mille ans.
Sa robe est estampillée de taches de couleur plus sombre que le fond uni, de forme elliptique à rectangulaire et bordée sur l'arrière d'une ligne noire épaisse. Des points noirs se trouvent parfois à l'intérieur des taches. Une double rayure partielle parcourt la colonne vertébrale.
Son poids oscille entre onze et vingt-cinq kilogrammes. Les plus grands mâles peuvent atteindre un mètre-dix, avec une queue pouvant mesurer jusqu’à quatre-vingt-dix centimètres. Celle-ci caractérise également cette espèce : elle sert de balancier lorsque la panthère évolue de branches en branches. La panthère est capable de descendre un tronc la tête en bas ou de se suspendre sur une branche avec ses pattes postérieures ; parmi tous les félins et avec le margay, elle est la plus talentueuse en matière d’évolution entre les troncs et les branches de la canopée qu’elle affectionne.
La panthère nébuleuse n'est pas arboricole au sens propre du terme, les arbres sont probablement utilisés principalement comme sites de repos. Ils sont particulièrement cruciaux dans les forêts asiatiques en raison de l'omniprésence des sangsues forestières prêtes à profiter de tout repas de sang frais. Un grand nombre de sangsues pouvant provoquer une perte de sang conséquente et engendrer des infections secondaires potentielles à partir des blessures qu'elles créent (Smythies, 1959).
La panthère est solitaire, secrète et principalement nocturne. Appréciant les forêts denses, elle passe l’essentiel de son temps dans la canopée et en descend pratiquement que pour chasser et se réhydrater. Son feulement inclut un miaulement court et aigu, un cri fort, tous deux émis lorsqu'elle cherche à localiser un congénère. Son régime alimentaire se compose de cerfs, de muntjacs, de sangliers, de singes, des loris lents du Bengale, de pangolins, d’écureuils et d’oiseaux. Elle pratique autant la chasse au sol que l'embuscade depuis les arbres et peut s'élancer du haut d'une branche directement sur sa proie ou la poursuivre dans les arbres. Si elle rencontre un tigre, un de ses prédateurs principaux, elle adopte une stratégie d'évitement.
La longévité de la panthère est estimée à entre douze et quinze ans. Dans sa tanière ou dans un arbre creux, la femelle accouche de quatre ou cinq chatons naissants aveugles. Ils commencent à voir vers dix jours, à déambuler vers vingt jours, vers leur quinzième mois, ils peuvent commencer à vivre indépendamment.
Dans les temps anciens, elle est raisonnablement chassée par diverses confédérations proto-indochinoises qui utilisent sa peau en guise de parure de cérémonie ou lors de la composition de divers tribus. Des groupes chan de Sarawak utilisent ses canines comme ornements d'oreille et ses peaux en guise de tapis d'assise (Gibson-Hill, 1950 - Shelford, 1985). Pour certains groupes aborigènes de Taiwan, la possession de sa fourrure est un signe de pouvoir. Pour d’autres groupes comme les Rukai, la panthère est une créature psychopompe, qui accompagne et dirige les âmes des ancêtres décédés : la tuer attire le malheur sur le chasseur et sur les membres de sa communauté.
Désormais, il resterait environ dix milles panthères nébuleuses en Asie. Elles perdurent notamment dans des réserves naturelles d’Inde, du Népal, du Bhoutan et de Formose ; pour l’Indochine péninsulaire : dans les parcs nationaux laotiens de la Nam Et et d’Hin Namno, au Cambodge, dans les sanctuaires naturels de Phnom Prich, de Botum Sakor et de Phnom Samkos et, au Vietnam, vraisemblablement dans les profondeurs du parc national de Ke Bang. Divers modules y sont possibles avec les rangers des parcs concernés : les chances de l’apercevoir sont minces, mais découvrir son habitat, ses traces, entendre son feulement ou tout simplement savoir qu’il rôde dans les parages est déjà une joie rare en soi
© Crédit illustration : Damien Egan Fine Art
ANOUVONG D'HERITAGE LINE
VOYAGE SUR LE HAUT MÉKONG LAOTIEN
Dixième fleuve du monde et quatrième d’Asie en termes de débit, le Mékong prend sa source dans le Qinghai, en Himalaya, et traverse successivement la Chine, le Laos, la Thaïlande, le Cambodge pour finalement se déverser après quatre mille neuf cents km dans le Sud Vietnam, où il est appelé traditionnellement le « fleuve des neuf dragons ».
Ce fleuve mythique constitue un axe commercial et migratoire usité depuis des temps immémoriaux, route et passage entre les moyennes et basses vallées du Mékong et de la Chine, les caravanes reliant le Yunnan et Chiang Mai. Il est remonté pour la première fois de son embouchure jusqu'au Yunnan entre 1866 et 1868, lors de la mission d'exploration du Mékong et du haut Song-koï menée par Ernest Doudart de Lagrée et Francis Garnier. Ces derniers souligneront sa navigabilité complexe dû aux nombreux rapides et sauts qui émaillent son cours.
Au Laos, le Mékong serpente du nord-ouest jusqu’au sud du pays, longeant la partie orientale du fameux Triangle d’Or (Golden Triangle), et la grande plaine de Vientiane, avant de servir de frontière naturelle avec la Thaïlande du centre au sud pour rentrer au Cambodge au niveau de la province de Stung Treng. Le haut cours du Mékong laotien se distingue par la variété de ses peuples, de ses longs massifs granitiques ou karstiques et ses vallées généralement orientées sur un axe nord sud-ouest, bordés d’éminences comme le Phu Doi Lo (2077 m, sur la frontière thaï), le Phu Pouy (1325 m, zone du Nam Pouy NBCA), le Phu Som (1724 m), le Sayphou Houaxang (783 m), le Sayphou Kaothang (1122 m) et le Sayphou Khatham (934 m). De ces hauteurs sourdent de nombreux ruisseaux et rivières, globalement affluent vers le sud-ouest et le Mékong, les plus notables étant la Nam Ma, la Nam Tha, et la Nam Beng (cette dernière rejoignant le Mékong à Pakbeng).
Les principaux peuples de la région sont, entre autres, les Laos, les Thaï Dam (Thai Noir), les Thai Khao (Thai Blanc), les Lue (Lü, le long de l’axe de Mékong), les Nua (au nord-ouest de Muong Sin), les Khmu Lu, les Khmu Khong, les Nguan (sud de Muang Sin), les Samtao (sud de Muang Sin), les Doi (ouest de Luang Namtha), les Mien (Yao, au nord-est de Muong Sin), les Hmông (à l’est de Luang Nam Tha), les Silla (à l’est de Muong Sin), les Mousseu (à l’ouest de Muong Sin) et les Pana (au nord-est de Muong Sin).
C’est sur ce haut Mékong laotien que la dernière merveille d’Heritage Line, l’Anouvong, fend les flots depuis son lancement fin août. Ce navire boutique de premier standing, nommé en l’honneur du dernier souverain du royaume de Vientiane qui combattit l’envahisseur siamois, rend hommage à une époque où le voyage s’associe à l’aventure vers l'inconnu. Long de quarante-huit mètres, cet intime vaisseau allie harmonieusement l’artisanat et les œuvres d'art traditionnelles du Laos au style colonial français. Il dispose de huit cabines et de deux suites luxueuses à la configuration inventive et aux fenêtres panoramiques accolées d’élégants balcons à la française ouverts sur le Mékong. Côté commodités, le navire assume son extravagance nuancée avec une salle à manger intime et un café-bar & lounge baigné de lumière qui se prolonge d’un pont-terrasse à l’ambiance distinguée. Sa poupe est coiffée d’un spa dernier cri, à la panoplie de massages et de soins du corps réjuvénateurs, nimbés de la spiritualité laotienne.
Ce Santa Maria laotien des temps modernes invite ses convives sur les méandres du légendaire Mékong pour un voyage de trois à sept nuits de la frontière Thaïlandaise, à Luang Prabang ou Vientiane, et vice-versa. Une odyssée des sens le long de contrées ceintes de monts aux franges sylvestres constellées de hameaux lao, khmu, lue, et hmong. Une parenthèse envoûtante pour toucher du doigt les traditions et pratiques séculaires de ces communautés, tout en appréciant un service à bord à la pointe, avec un lot d’activités complaisantes mêlant, entre autres, cours de cuisines, séance de yoga, de Tai Chi, de méditation, initiation à la langue laotienne, barbecue sur une bande de sable enchanteresse, cérémonie de bénédiction de Baci, spectacles de musique et de danse vernaculaire, rencontre d’éléphants dans leur milieu naturel, ou encore conférences interactives sur les facettes ésotériques de l’ancien pays du Million d’Eléphant
EN SAVOIR PLUS
© Crédit photo : Alexander Stephan
PONTHIAMAS
UN ROYAUME CHINOIS DES MERS DU SUD
Le voyageur généralement pressé, ne prendra guère le temps de s’arrêter à Ha Tien, ce cul-de-sac où l’on arrive épuisé au petit matin pour se dépêcher de se rendre à l’île de Phu Quoc. Les esprits plus curieux se seront quand même demandé qui est le personnage à l’allure martiale dont la statue tempère la vacuité tout académique d’un espace pavé de faux marbre.
Tout commence en Chine, en 1644, par un de ces grands craquements silencieux qui n’apparait au reste du monde que comme un banal changement de dynastie. En revanche, pour les fils du ciel, l’inimaginable vient de se produire : la dynastie Ming, nationale entre toutes, vient d’être renversée par les barbares mandchous ! Une fois la stupeur passée, les militaires loyalistes Ming prennent les armes contre l’ordre nouveau. Pourtant, dès 1679, le mandat du ciel est sans appel : se résigner à la nouvelle dynastie ou s’exiler. En un mouvement incessant, les jonques des militaires chinois accompagnés de leurs familles longent les côtes du Dai Viet et pénètrent la péninsule par le delta du Mékong.
Dans les années à venir, ce mouvement de population allait se traduire par une nouvelle configuration géopolitique qui allait modifier l’histoire de la péninsule.
De Mok Kau...
En 1675, à Oudong, alors modeste capitale du royaume du Cambodge, un Chinois dénommé Mok Kau se présente au roi. Il a quitté la Chine à cause de la nouvelle dynastie. Il convainc d’autant plus facilement le roi Chey Chetta IV de lui laisser en fermage le petit port de Peam (aujourd’hui Ha Tien) qu’il s’agit d’une possession des plus théoriques de la royauté de Oudong, en fait un lieu désert où la nature a bien repris ses droits. Contrat conclu et le voilà qui s’installe dans ce
no man’s land.
En quelques années de labeur acharné, Mok Kau transforme la région et fait de Peam un centre avec lequel les pays voisins vont devoir compter.
Une activité maîtresse est évidement le développement agricole. Pierre Poivre dans ses « Voyages d’un philosophe » (1769) ne tarit pas d’éloges : « Son territoire devint le pays de tous les hommes laborieux qui voulurent s’y établir. Son port fut ouvert à toutes les nations ; bientôt les forêts furent abattues avec intelligence, les terres furent ouvertes et ensemencées de riz ; des canaux tirés des rivières inondèrent les champs, et des moissons abondantes fournirent d’abord aux cultivateurs la matière de leur subsistance, puis l’objet d’un commerce immense ». C’est d’ailleurs ce dernier qui désigne Ha Tien par le nom de Ponthiamas, du Khmer « Banteay Meas », littéralement la forteresse d’or, car les remparts en bambous de la ville étincelaient au soleil couchant. Ce mystérieux royaume de Ponthiamas allait jouir d’une certaine notoriété dans la France des Lumières qui y découvre une mise en œuvre, sans doute bien involontaire, de son programme idéologique : « il n’établit donc aucunes loix [sic] ; il fit beaucoup plus, il établit des mœurs » nous explique Pierre Poivre et, à sa suite, un philosophe des Lumières oublié depuis, le marquis de saint Lambert qui, sans jamais être venu dans la région, n’en rédigera pas moins un ouvrage au titre difficilement plus parlant : « Ponthiamas ou la raison ».
...À Mac Cuu
Mok Kau, qui n’est pas philosophe, est beaucoup plus préoccupé par les aléas stratégiques régionaux dont, à terme, dépendra la survie de son « royaume ». La géopolitique de Ponthiamas repose sur deux piliers : en premier lieu, c’est un « royaume » tampon entre, à l’ouest, le Siam, en fait le royaume d’Ayutthaya, capitale depuis 1351 et, au nord, la famille Nguyen qui tout en étant nominalement soumise à Thang Long, l’actuelle Ha Noi, gère, de fait, un véritable État qui s’étend du nord de Hue jusqu’à l’actuelle Nha Trang où règnent les derniers rois chams ; en second lieu, c’est le point obligé de passage, donc de contrôle, des flux commerciaux du golfe de Siam. Autrement dit, Ponthiamas est en première ligne et, de fait, ne jouira pas longtemps de sa tranquillité. En 1718, la ville est détruite par les Siamois et Mok Kau se réfugie à Ream. Dès son retour en 1721, il s’employa à la reconstruire.
Mok Kau, acte pris de son impossible neutralité, dut se choisir un protecteur sûr et scellera en 1725 une alliance avec la famille Nguyen de Hue ; c’est d’ailleurs sous le nom de Mac Cuu, version vietnamisée de son nom chinois, qu’il passera à la postérité. Ponthiamas est désormais dans l’orbite vietnamienne. Une indépendance perdue ? Pas vraiment. Ponthiamas n’a jamais joui d’une indépendance officielle même si les liens de vassalité envers la royauté de Oudong n’ont jamais été que purement théoriques ; et dans les annales royales de Hue, il n’est question que d’une « protection ».
L'âge d'or et la chute
En 1735, à la mort de Mac Cuu, son fils Mac Thien Tu (1718 – 1780) lui succède. Un souverain, mais aussi un poète qui nous a légué un chef d’œuvre : « Les dix paysages de Ha Tien ». Sous son impulsion sera créée l’académie de Ha Tien qui sera célébrée dans tout le monde chinois. À la puissance commerciale, Mac Thien Tu adjoint la puissance militaire en construisant une flotte redoutable, notamment capable de menacer le Siam.
C’en est fini du petit royaume sagement charnière et Mac Thien Tu entend désormais jouer dans la cour des grands avec les risques afférents. En 1771, Ponthiamas sera détruite par les Siamois pour la seconde fois, puis mise à sac lors la révolte des Tay Son (1771 – 1792). En 1780, Mac Thien Tu s’est rendu à Bangkok, avec ses fils, pour accompagner une ambassade vietnamienne auprès du roi Phya Tak (Thaksin), afin de signer un traité de paix avec le Siam. Une série de malentendus éveillera les soupçons de Thaksin. Les membres de la délégation accusés d’espionnage seront torturés puis mis à mort et Mac Thien Tu se suicidera en avalant de l’or liquide.
Quelques membres de la famille Mac restés en vie continueront de jouer un rôle dans ce qui est désormais une principauté sur le déclin car, dans le premier quart du XIXème siècle, la modification des routes maritimes actera la fin du rôle stratégique du golfe du Siam. Ponthiamas avait vécu, mais son histoire de plus d’un siècle, écrivait Émile Gaspardone en 1952, « éclaircit un aspect important de l’histoire moderne, si mal connue et si dédaignée, de ces régions de l’Indochine où s’établissait, vers la fin du XVIIème siècle, grâce à un renversement de population, le poste le plus précaire et le plus avancé au sud de la civilisation chinoise ».
Jean-Michel Filippi.
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