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SEPTEMBRE 2024
CONTENU
Une histoire, et une historiographie d’Angkor.
Éclat de joie, mille mots derrière une photo.
Federico Barocco, et l’amour des vieilles pierres.
UNE HISTOIRE, ET UNE HISTORIOGRAPHIE
D'ANGKOR
Tout au long de sa vie, Michael Vickery (1931 2017) s’est consacré à l’étude de l'histoire du Cambodge.
Il est inconcevable aujourd'hui de se plonger dans la période préangkorienne sans cet indispensable vade-mecum qu'est son monumental : « Société, économie et politique dans le Cambodge préangkorien : les 7ème et 8ème siècles ».
Il en va de même pour la période post-angkorienne à laquelle il a consacré une thèse dont la publication est éminemment souhaitable : « Le Cambodge après Angkor, les témoignages des chroniques du 14ème au 16ème siècle ».
L'époque moderne n'est pas en reste avec son célèbre « Cambodge 1975-1982 », ainsi que d'autres ouvrages ultérieurs comme « Cambodge : une étude politique ».
À ces textes désormais emblématiques, il faut ajouter un nombre considérable d'articles, de chapitres de livres et de critiques sur l'Asie du Sud-Est et où le Cambodge se taille la part du lion.
Et Angkor ? Michael Vickery n'avait en aucun cas ignoré ce monstre sacré d’une histoire de plus de cinq siècles. Les preuves de son intérêt pour cette période incluent des études d'inscriptions, des articles sur les relations entre le Champa et le monde d'Angkor et, bien sûr, des articles sur différentes périodes de l'histoire d'Angkor.
Ne manquait plus qu’un livre pour rassembler les travaux et les recherches menées par l'auteur de son vivant, une synthèse qui offre un regard critique à notre connaissance de cette période. C'est désormais chose faite.
Dans les lignes qui suivent, nous soulignerons ce qui constitue un des intérêts majeurs de ce texte, à savoir la méthode historiographique de l'auteur, d'où résultent à la fois la nouveauté des thèmes abordés et une remise en cause salutaire des clichés qui ont marqué l'histoire d'Angkor.
Les sources historiques
Les lecteurs de Michael Vickery connaissent le soin qu’il a toujours apporté à l’examen des sources de l'histoire khmère.
« La première différence entre la période du Funan et le début du 7ème siècle est qu’à partir de 611 après J.-C. les Cambodgiens ont soudainement commencé à graver de nombreuses inscriptions en Khmer et en Sanskrit. La plus ancienne que nous connaissions, l’inscription K600, est datée de 611. La plupart de ces inscriptions concernent le contrôle et l'organisation de la terre, les personnes et les animaux liés à l'agriculture. Elles ne manifestent aucun intérêt pour la mer ou le commerce à longue distance. Elles contiennent des noms de dieux et de déesses, de rois, de fonctionnaires et de gens ordinaires ».
Dans son traitement de la période préangkorienne, ce sont les inscriptions en vieux khmer qui présentent le plus d’intérêt non seulement pour reconstituer le cadre des événements, mais aussi pour révéler la structure sociale de l’ancien Cambodge ; et ces deux thèmes reviennent tout au long du livre.
Le vieux démon de l'anachronisme reçoit l'avertissement rituel de l'historien qui sait bien que, si l'énoncé du fait historique est en soi un premier anachronisme, des garde-fous restent indispensables : « on ne doit pas considérer que ce qu'un roi angkorien a pensé plusieurs centaines d'années après les événements constitue une meilleure interprétation d’une période antérieure. Les témoignages contemporains provenant du lieu étudié doivent toujours être préférés aux témoignages provenant d’une autre époque ou d’un autre lieu ».
Le traitement des sources chinoises doit également être entouré de précautions : « il faut se rendre compte que les récits chinois sur la situation politique et géographique du Funan sont très vagues. L'emplacement de la capitale dont parlent les Chinois ne peut être déterminé à partir de leurs écrits… ».
Le problème des titres dans la société khmère
L’une des grandes originalités de l’ouvrage concerne l’analyse du tissu social du Cambodge ancien tel que le révèle l’énoncé des titres dans les inscriptions en vieux Khmer et non en Sanskrit : « Ce sujet, pour autant que je le sache, n’a guère été abordé par les précédents historiens du Cambodge, sauf, très tôt, par Aymonier dans son ouvrage « Le Cambodge » où il a commencé à décrire la classe des poñ que j'ai traitée en détail dans Vickery (1998), pour ensuite passer à d'autres groupes/classes/populations/catégories… »
Pour la première fois, l'auteur propose au lecteur une analyse historique et géographique des titres qui apparaissent dans les inscriptions à partir du 7ème siècle.
Michael Vickery, à la suite d’Étienne Aymonier, propose une première exploration de ces systèmes de titres avec des exemples systématiques tirés des inscriptions. Ce travail pionnier constitue une base essentielle pour les études ultérieures.
Les évènements qui constituent l'histoire du Cambodge
Hormis les historiens professionnels qui se sont consacrés à l’histoire du Cambodge, le public instruit voit l’histoire du Cambodge comme un ensemble d’événements bien établis et dont le cadre général peut être communément accepté.
Ceci est loin d’être nouveau car l’histoire, et pas seulement l’histoire khmère, s’apparente à une histoire fondatrice d’un patrimoine national et non à un contenu soumis à des révisions constantes et souvent déchirantes.
Lire Michael Vickery est une déconstruction salutaire. Il s’agit bien ici uniquement d’affirmer un contenu qui s’appuie sur des preuves réelles ou d’avancer des hypothèses plausibles.
Sous cet angle, il ne resterait plus grand chose de l’histoire du Cambodge telle qu’établie par Georges Coédès et sans cesse répétée depuis. Une histoire qui a inspiré de nombreuses personnes, notamment des peintres et illustrateurs dont le célèbre Maurice Fievet. Dans les années 1960, ce dernier a même bénéficié de l'appui technique de Georges Coédès et de Bernard Philippe Groslier pour réaliser des illustrations des grands moments de l'histoire khmère. Il en ressort un peuple de bâtisseurs au travail, des batailles, des rois officiant en présence de brahmanes... bref, une vision picturale grandiose qui, si elle n'est pas conforme à la réalité, reste tout à fait fidèle aux œuvres historiques de l'époque.
Un exemple célèbre, que l'auteur reprend dans le premier chapitre de l'ouvrage, concerne la conquête du Funan par le Chenla. Selon des sources chinoises, le Chenla, état vassal du Funan, se révolta contre ce dernier au cours du 7ème siècle et le vainquit ; à la suite de cette victoire, le centre de gravité politique du monde khmer s'est déplacé vers le Nord et aura Isanapura (Sambor Prey Kuk) comme capitale.
La stratégie de Michael Vickery est tout à fait différente. D'une part, il examine la textualité locale (inscriptions) pour conclure que « Désormais, en examinant tous les documents locaux du 6ème au milieu du 7ème siècle, nous constatons qu'ils sont en désaccord avec le récit chinois d'une guerre dans laquelle le Chenla au nord a vaincu le Funan au sud et a remplacé le Funan comme centre politique du Cambodge ». En revanche, il propose une interprétation du déclin du Funan par la modification des axes de communication maritime et donc des relations commerciales ultérieures : « En fait, les recherches dans les archives chinoises et concernant les relations avec les premiers pays d’Asie du Sud-Est ont révélé qu’au 6ème siècle, le Funan connaissait un déclin économique, et donc politique, irréversible de sorte qu’aucune théorie de conquête n’est nécessaire pour expliquer sa disparition ».
C'est donc à partir de la confrontation du cadre traditionnel de l'histoire cambodgienne avec les sources épigraphiques locales que Michael Vickery revisite l'histoire de la période angkorienne ; il en ressort un scénario très différent de la vulgate habituelle.
Ce n'est pas tout ; il faut également mentionner les thèmes qui, pour la première fois, sont analysés dans cet ouvrage, tels que : la succession au trône, l'analyse des serments des fonctionnaires sous Suryavarman 1er au 11ème siècle, des pages pénétrantes sur l'administration… En fait, l'ouvrage de Michael Vickery n'est ni plus ni moins qu'un nouveau classique sur les moments clés de l'histoire khmère.
Jean-Michel Filippi.
ÉCLAT DE JOIE
MILLE MOTS DERRIÈRE UNE PHOTO
Dans des publications passées, nous remémorions diverses batailles et opérations de la guerre du Vietnam. Pour en partie conclure cette série (1965-1975 / 2015-2025), en cette édition nous évoquons « Éclat de Joie », une photographie chère à nos cœurs, puisque contrairement à d’autres sombres représentations de ce conflit, notamment « la petite fille au napalm », elle dénote, comme son nom l’indique, d’une grande joie et d’une note d’espoir.
Éclat de Joie immortalise les retrouvailles du lieutenant-colonel Robert L. Stirm, de retour de captivité au Nord Vietnam, et de sa famille. La photographie est prise par Slava Veder le 17 mars 1973, sur la base aérienne de Travis en Californie. De par sa puissance évocatrice, elle obtient le prix Pulitzer 1974.
Le 27 octobre 1967, lors d’une mission au-dessus du Nord Vietnam, le F-105s de Robert L. Stirm est abattu, il passe ensuite cinq ans en prison. Il est détenu dans plusieurs camps, dont le célèbre Hilton de Hanoï, il passe 281 jours à l'isolement. Pendant une partie de sa détention, il partage sa cellule avec John McCain.
Libéré le 14 mars 1973, via l’Opération Homecoming, il est rapatrié aux États Unis. Le 17, avec une vingtaine d’autres POW, il foule le tarmac de la base de Travis, en face de lui sa famille, sa fille Lorrie s’en détache et fond sur lui en ouvrant les bras, en volant presque, et clic, la magie de la photographie s’opère immortalisant cette scène de joie pure. En second plan apparaissent son fils ainé, son autre fille et fils cadet, ainsi que sa femme Loretta.
Ils rentrent chez eux… mais la roue tourne, et trois jours après son retour, il reçoit une demande de divorce, Loretta, à sa manière, n’ayant pas supporté l’absence de son époux. Le couple se sépare en 1974.
Quant à lui, Slava J. Veder est né le 30 août 1926 à Berkeley, en Californie. Après avoir exercé plusieurs métiers tels que pompier, journaliste sportif pour le Richmond Independent et membre du personnel du Oakland Hockey Club, en 1949, il rejoint l'Almeda Times-Star avant d'entrer au Tulsa World où il travaille comme rédacteur en chef. En 1956, il quitte le Tulsa World et travaille comme rédacteur dans plusieurs journaux américains. En 1961, il retourne en Californie et travaille pour l'AP à Sacramento avant d'être transféré au bureau de l'AP à San Francisco. C'est de cette base qu'il réalise Éclat de Joie et qu'il remporte le Pulitzer un an plus tard.
Malgré les déboires des Stirm, cette photographie reste une représentation poignante de l'humanité dans toute sa complexité : la lutte et la souffrance de la guerre, l'espoir et le soulagement du retour, et surtout, la force de l'amour et des liens familiaux dans les moments les plus difficiles. La photographie capture un instant fugace de bonheur pur et authentique, elle résonne comme un témoignage puissant de la résilience et de la capacité des humains à surmonter l'adversité et à trouver la lumière dans les moments les plus sombres.
FEDERICO BAROCCO
ET L'AMOUR DES VIEILLES PIERRES
« Et parfois, lorsque vous fermez les yeux la nuit, vous commencez à rêver de tous ces morceaux qui flottent dans l'air : où était ceci, où était cela... ».
Son imagination intarissable n’aura de cesse d’occuper les songes de Federico Barocco, un archéologue, consultant à l'Institut de conservation des Monuments du ministère de la Culture, du Sport et du Tourisme du Vietnam, aujourd’hui considéré comme une référence dans l’archéologie du paysage en Asie du Sud-Est.
Né à Rome en 1975, ce chercheur polyglotte d'origine italienne, étudie au département d'études orientales de l'université de Rome « La Sapienza », où il obtient en 2002 un diplôme en « Histoire de l'art et archéologie de l'Asie orientale ». Durant cette période il étudie l'histoire et l'archéologie de l'Extrême-Orient à l'université de Pékin, visitant les principaux sites et collections archéologiques de l’Empire du Milieu. Après une formation poussée sur les méthodologies et les techniques appliquées à la recherche archéologique, il participe au projet archéologique et de conservation pour la réévaluation de la zone du Forum Impérial dans le centre de Rome.
En 2002, au travers de la Fondation Lerici (École polytechnique de Milan) il s’investit en tant qu'aspirant archéologue de terrain et consultant sur les principaux sites archéologiques du centre et du sud de l'Italie ; puis rejoint la mission archéologique italienne officielle de la Fondation Lerici, comme consultant et archéologue pour les sites Unesco du Laos (Vat Phou), du Vietnam (My Son) et du Myanmar (Sriksetra et les villes de Pyu). Cette attirance pour l’Asie du Sud-Est se renforce lorsqu’il rencontre Patrizia Zolese, responsable de l'archéologie et de la culture asiatique à la Fondation Lerici, « l’Indiana Jones Italienne », qui dédie sa vie à ce qu’elle nomme l’
archeo logos
(archeo « ancien », logos « histoire », ou « raison » en grec) en suivant la route historique d’Alexandre Le Grand, de Grèce en Inde, en passant par l’Afghanistan. Un attrait qui se transforme en amour pour le Vietnam, et sa culture lorsqu’il prend part au projet de « sauvegarde du site du patrimoine mondial de My Son » en 2004, l’un des premiers sites religieux cham fondé au IVème siècle, redécouvert par Camille Paris en 1889 et étudié pour la première fois par l'architecte français Henri Parmentier au début du XXème siècle.
Après une mission sur le « Vat Phou et les anciens établissements associés dans le paysage culturel de Champasak » au Laos et quelques années en pleine campagne de Quang Nam, au Vietnam, « Rico », comme l’appelle son entourage, s’installe dans sa ville de cœur : Hoi An. Une base de recherche qu’il ne se voit plus quitter, d’où il s’emploie à « reconstruire », non seulement les monuments, mais aussi leurs paysages associés. La tâche ne consistant pas à restaurer mais bien à conserver. Un travail d’imagination qui cherche à combiner les évidences archéologiques pour contrôler la chronologie, et à « penser l’histoire » pour mieux reconstruire son évolution et en préserver ce qu’elle aura décidé de laisser debout. Tout naturellement, Federico se spécialise sur la formation et le développement des civilisations khmères et cham au Laos et au Vietnam. Il organise des formations d’aspirant archéologues et architectes sur la gestion du patrimoine et des sites archéologiques comme My Son et le Vat Phou.
En 2008, il est invité à se joindre à la collaboration scientifique avec le centre EFEO (École française d'Extrême-Orient) de Hanoi et l'Institut vietnamien d'archéologie dans le cadre du projet « History and Heritage of Central Vietnam », mené dans les provinces de Quang Ngai, Binh Dinh et Phu Yen. Aussi, il collabore à l'édition de la cartographie du livre
Champa et l'archéologie de My Son (Vietnam)
, publié en janvier 2009, aux côtés de Andrew Hardy, Mauro Cucarzi, et Patrizia Zolese, œuvre retraçant les efforts menés pour préserver les vestiges de cette culture unique qui fleurit sur la côte du Centre du Vietnam du quatrième au treizième siècle.
En 2010, il est nommé associé de recherche à l'Institut vietnamien d'archéologie à Hanoi et à l'Institut vietnamien pour la conservation des monuments du ministère de la Culture, lançant plusieurs projets locaux et internationaux et collaborant à la recherche sur l'archéologie du paysage et la conservation du patrimoine culturel au Vietnam. L’un de ces projets concerne la Longue Muraille de Quang Ngai, aussi nommé Grande Muraille du Vietnam, un rempart de 127,4 kilomètres qui s'étend de la province de Quang Ngai, au nord, à la province de Binh Dinh, au sud. Ce mur défensif construit en 1819 par la dynastie des Nguyen comme ligne de démarcation contre les Da Vach (les H're ou Hrê, population appartenant à la famille linguistique Mon–Khmer) serpente à travers des montagnes vierges, couvertes de forêts pluviales, et représente le plus long monument d'Asie du Sud-Est.
Lors d’un séjour dans le Centre Vietnam, aux côtés de Federico, visite du site archéologique de My Son, lové dans un cadre naturel enchanteur choisi afin de symboliser la grandeur et la pureté du mont Méru, montagne mythique considérée comme l'axe du monde, berceau des dieux hindous au centre de l’univers ; ou circuit culturel interactif entre les petites venelles et sites inusités du vieux quartier de Hoi An pour saisir la véritable valeur historique et les secrets de cette ancienne ville portuaire de renom.
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